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Homélie pour l’ordination presbytérale de P. Lambert Vos

Cher Lambert,

Chers Frères de la Communauté de Chevetogne,

Chers Frères et Sœurs,

C’est une grande joie pour moi de conférer aujourd’hui l’ordination presbytérale à Lambert Vos, le nouveau prieur de ce monastère. En choisissant les textes bibliques de cette célébration, le fr. Lambert a indiqué des éléments qui lui tiennent à cœur. Je dirais pour résumer qu’il nous a fait passer de l’universel au particulier, de la grandeur du cosmos aux petites brebis de l’abbaye de Chevetogne.

Dans la première lecture, en effet, nous avons entendu une grande bénédiction que saint Paul adresse aux chrétiens d’Éphèse. Elle s’étend à tout l’univers. « Dieu », écrit saint Paul, veut « mener les temps à leur plénitude, récapituler toutes choses dans le Christ, celles du ciel et celles de la terre » (Eph 1,10). Cette dimension mondiale du projet de Dieu pour toute l’humanité avait touché dom Lambert Beauduin, quand il a fondé cette communauté en 1925 à Amay entre Huy et Liège. Il voulait rapprocher des mondes que tout séparait : rapprocher l’Église orthodoxe de l’Église catholique romaine, dans le cadre d’un État russe devenu communiste et d’une Europe occidentale, plutôt libérale. Il a opéré un double passage : un passage au-delà des clivages ecclésiaux et un passage au-delà des barrières politiques. Aujourd’hui l’abbaye de Chevetogne développe avec bonheur cet héritage œcuménique et manifeste la nécessité d’établir des contacts entre toutes les Églises, non seulement entre Orient et Occident, mais aussi dans toutes les parties du monde.

Cette vocation universelle vous tient fort à cœur, vous les moines de cette communauté, et votre nouveau prieur y tient beaucoup lui aussi. Comme la communauté d’Éphèse, vous pouvez rendre grâces à Dieu pour votre vocation et dire : « Béni soit Dieu ! Il nous a bénis et comblés des bénédictions de l’Esprit. Il nous a prédestinés à être pour lui des fils adoptifs par Jésus le Christ » (Eph 1,3.5). Oui, vous êtes une communauté de fils adoptifs, adoptés par Dieu pour devenir des frères, dans la vie monastique. Vous êtes une communauté qui a sa place dans une grande mission universelle. Certes, vous pourriez dire : « Seigneur, nous sommes petits par rapport à toute la terre, cette mission nous dépasse ! » De même, la petite communauté chrétienne d’Éphèse aurait pu dire à saint Paul : tu en rajoutes un peu trop en disant que nous avons été « choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour » (Eph 1,4). Et pourtant c’est bien ce que saint Paul dit à cette petite communauté dans la grande ville d’Éphèse. Elle a reçu ce message et elle l’a diffusé. Et il est arrivé jusqu’à nous aujourd’hui. Donc n’ayons pas peur de cette mission que le Seigneur nous donne et qui contribue à sauver le monde, par le dialogue des Églises, des cultures, des races et des langues.

Si votre communauté se sent petite par rapport à ce défi, que dire de son prieur ? Il se sent encore plus petit, face à la tâche. Mais la grâce de Dieu lui vient en aide. Pour paraphraser saint Paul, je te dirai, Lambert, que tu as « écouté la parole de vérité, l’évangile du Salut, et après y avoir cru, tu as reçu la marque de l’Esprit Saint, l’Esprit de la promesse » (Eph 1,13). Cette marque de l’Esprit, aujourd’hui, c’est en particulier l’ordination presbytérale que tu vas recevoir, avec une onction de l’Esprit Saint. C’est cette grâce qui t’est donnée pour que tu puisses être le pasteur de tes frères.

Voilà pourquoi tu as choisi comme évangile celui où Jésus fait de Pierre un pasteur (Jn 21,15-19). Pierre s’était senti petit face à Jésus, qu’il avait trahi trois fois pendant sa passion. Néanmoins Jésus le choisit pour continuer sa propre mission : « Sois le berger de mes agneaux », dit Jésus. Ce que Jésus a de plus précieux, ses agneaux, il les confie à Pierre, en héritage. Pour cela il lui demande une chose en échange : « Pierre, m’aimes-tu vraiment ? » (agapas me ?). Pour paître les agneaux, il faut donc aimer le maître et aimer les agneaux comme il les aime.

Cette question Jésus la pose aujourd’hui à Lambert : « Lambert, m’aimes-tu vraiment ? » Et bien sûr, Jésus la pose à chacun d’entre nous car nous sommes tous un peu bergers pour d’autres personnes. Chacun répondra avec sa conscience personnelle, avec sa foi et son enthousiasme, avec ses doutes et ses fragilités. Pierre fut peiné d’ailleurs parce que Jésus lui posait trois fois la même question. Si Lambert est ordonné aujourd’hui, c’est qu’il a répondu « oui » dans son cœur à la question de Jésus. Il connaît ses limites, mais aussi ses capacités et il fait confiance à la grâce du Christ.

Quand je l’ai connu à l’université de Liège, Lambert portait alors le prénom de Henri : c’est un prénom d’empereur, saint Henri II, roi de Germanie. Puis, pour sa vie monastique, il a choisi le nom de Lambert : un nom liégeois, saint Lambert, évêque de Liège : ne serais-tu pas un peu chauvin, Henri ? Mais n’oublie pas une chose : le glorieux saint Lambert, ce fut un martyr ! Tu es passé de l’empereur Henri à l’évêque martyr. Te voilà donc prieur et martyr, Henri et Lambert. J’espère quand même que ton priorat ne sera pas un martyre ! Au moins pas tous les jours ! Et que tu ne joueras pas à l’empereur – au moins pas tous les jours !

N’empêche, « quand tu seras vieux, - comme disait Jésus à saint Pierre - tu étendras les mains, et c’est un autre qui te mettra la ceinture ». C’est-à-dire qu’il faudra te fier aussi à la fraternité des autres et à la miséricorde de Dieu, qui nous emmène au-delà de ce que nous imaginons.

Cher Lambert, dans la force de l’amour pour le Christ et pour ses brebis, tu es emmené sur des chemins inconnus et tu écriras, avec tes frères, une nouvelle page de la vie de cette communauté. C’est pourquoi Jésus te redis avec confiance : « Sois le pasteur de mes brebis ! » Amen !