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Lundi de Pâques

Hier, pendant la Sainte Liturgie, nous avons entendu proclamer le début, l’ouverture, de l’Évangile selon saint Jean: “Au principe était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu...”. Aujourd’hui nous avons entendu le dernier verset de ce même prologue. Il ouvrait le témoignage de saint Jean Baptiste sur cet Inconnu au milieu de la foule des pénitents qui affluaient vers le Jourdain pour y recevoir son baptême de repentance.
“Dieu jamais personne ne l’a contemplé; le Dieu unique-engendré, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé” (trad. TOB).
Comment saint Jean le Théologien peut-il affirmer aussi péremptoirement que jamais personne n’ait vu Dieu? Est-ce que l’évangéliste ignore les Saintes Écritures? Certes non ! Abraham a aperçu un reflet de sa présence (Gn 22), Moïse de même au Buisson ardent (Ex 3) et sur la montagne du Sinaï (Ex 33). Le prophète Isaïe a vu la frange de sa gloire (Is 6) et le prophète Ezéchiel le trône au-dessus duquel la gloire de Dieu se faisait présente (Ez 1). Ils voyaient sans voire, ou plutôt – comme le dit l’Écriture: “ils voyaient sa voix” (Dt 4,9 LXX). Car Dieu est Logos, Verbe, Parole pour l’homme. Il passe, Moïse le voit de dos (Ex 33) et le reconnaît à sa parole. Pour entendre la parole de Celui qui passe, il faut le suivre.
“Dieu, personne ne l’a jamais contemplé”. Une certaine présence de Dieu – mais pas encore le Dieu de Jésus qui est Père. Jésus le redira plus loin dans l’Évangile de Jean: ”ce n’est pas que quelqu’un ait contemplé le Père, si ce n’est celui qui est et vient du Père, celui-là a contemplé le Père” (Jn 6,46). Seul le Fils du Père le connaît et le voit. C’était le Fils, celui qui est, qui manifestait la présence du Père à Abraham, à Moïse, à Isaïe, à Ezéchiel. Il était la voix du Père, qui se donnait à voir et à entendre à son Peuple.
Il nous reste l’autre moitié de ce verset de clôture du Prologue de l’Évangile de Jean: “Le Dieu unique-engendré, qui est dans le Père, nous l’a dévoilé”. C’est une paraphrase du texte original: “monogenês Theos, ho ôn, eis ton kolpon tou Patros, ekeinos exêgêsato”. Une autre traduction cependant est possible: “Le Dieu unique-engendré, Celui qui est, dans le sein du Père, c’est lui qui a conduit”. Qu’est-ce à dire? Comment comprendre cette affirmation péremptoire de saint Jean?
Jésus est “Celui qui est”. Il est, tout court, sans rien de plus. Il n’est pas ceci ou cela. Il est. N’est-ce pas ce qu’il avait déclaré au Buisson ardent à Moïse (Ex 3,14)? N’est-ce pas ce que Jésus dit de lui-même à plusieurs reprises dans l’Évangile de Jean? “Je suis”. Seul le Fils unique-engendré de Dieu peut s’approprier le nom béni de Dieu. Toutes les icônes de Jésus-Christ portent d’ailleurs ce Nom béni dans le nimbe qui indique sa gloire de Ressuscité: “ho ôn”, Celui qui est. Il est, Je suis, la présence de Dieu le Père.
Jésus “conduit” vers le sein du Père. D’abord parce qu’il est la “porte” (Jn 10). Il est comme cette porte fleurie que nous apercevons derrière nous, qui donne accès au sanctuaire, symbole du sanctuaire du Ciel. Jésus, le ressuscité, y a pénétré. C’est la porte qui fait franchir le mur de la mort, Il l’a ouverte pour nous, si nous le voulons, en croyant qu’Il est le Fils, le Verbe, du Père.
Ensuite parce qu’Il est le chemin: “Je suis le chemin, la vérité et la vie” (Jn 14,6). Je suis le chemin, parce que je fais la vérité. Si vous faites la vérité en gardant mon commandement, à savoir en vous aimant les uns les autres, vous avancerez sur ce chemin. Je suis le chemin, parce qu’en faisant la vérité avec moi, je vous donne la vie, ma vie avec le Père et le Saint-Esprit.
Où conduit ce chemin? Avec les paroles de saint Jean: “vers le sein du Père”. Langage déroutant?! Pour qui est familier avec la Bible pas tant que cela. Jacob, le patriarche, adopte les deux fils de Joseph, Ephraïm et Manassé (Gn 48). Pour le faire, il les met sur son sein pour les bénir. Noémi, dans le livre de Ruth, reçoit sur ses genoux Obed, le fils que sa belle-fille avait mis au monde par son union avec Booz (Ruth 4). Elle l’adopte. Le pauvre Lazare se trouve dans le sein d’Abraham (Lc 16). Il est son fils. Que dit donc saint Jean? Jésus fait de nous des enfants adoptifs du Père. Il nous engendre par sa Pâque enfants qu’il met sur le sein du Père. N’est-ce pas la propre expérience de saint Jean? Le disciple bien-aimé reposait sur le sein de Jésus (Jn 13). Jean a été engendré ainsi enfant du Père.
Personne n’a contemplé Dieu. Mais aux enfants adoptifs du Père, le Fils unique, le Bien-aimé du Père, a frayé le chemin. “Qui m’a vu, a vu le Père” (Jn 14). Jésus ne nous conduit pas à une vision grandiose. Il fait mieux et plus. Il nous conduit avec lui dans l’intimité de Dieu, du Père. “Je monte vers mon Dieu et votre Dieu, vers mon Père et votre Père”, déclare-t-il à Marie-Madeleine le matin de Pâques (Jn 20,17). Il ne veut pas que nous en restions à une simple lueur de sa présence de Ressuscité. Il nous conduit à la vie vivante de Dieu. Comme l’a dit un des grands mystiques de notre pays: ”Vois donc Celui qui t’a aimé jusqu’à en mourir, et suis-le jusque dans le sein de son Père” (Jan van Ruusbroec).