Nous avons entendu aujourd’hui l’évangile dit du « serviteur du centurion ». Rappelons
d’abord qu’un centurion dans l’armée romaine était un officier subalterne, comparable à un
capitaine aujourd’hui, que le centurion dont nous parlons était païen, mais vivait en Galilée parce
que son unité y était stationnée en tant que force d’occupation, et qu’il est venu trouver Jésus en lui
disant : « Seigneur, mon serviteur est couché dans ma maison, atteint de paralysie, et il souffre
extrêmement ».
La première chose qui nous frappe peut-être, c’est la bonté de cet officier qui se soucie de son
serviteur, ce qui n’était guère dans les habitudes de l’époque. Nous pouvons peut-être remarquer
aussi qu’il est venu spontanément trouver Jésus : sans doute avait-il entendu parler de ses miracles.
Mais ce qui est encore bien plus remarquable, me semble-t-il, c’est la manière même dont il
formule sa demande, qui en fait n’en est pas une : il se contente de dire le fait, sans même demander
à Jésus de bien vouloir guérir le malade ! Jésus comprend à demi-mot, et répond spontanément qu’il
va aller guérir le serviteur. Or là, nouvelle surprise : ce centurion sait que, selon les lois de pureté
qu’observaient les Juifs, ils ne pouvaient pas entrer dans la maison d’un païen sans contracter une
souillure rituelle, et c'est pourquoi il devance même Jésus en lui disant : « Je ne suis pas digne que
tu entres sous mon toit, mais dis seulement une parole, et mon serviteur sera guéri », selon la belle
formule que l’Eglise latine a reprise dans la préparation à la communion !
Et c’est cette réponse que Jésus met en évidence : Jésus parle de « foi », mais nous pourrions
tout aussi bien parler de « confiance sans bornes ». Non seulement le centurion croit réellement que
Jésus a le pouvoir de guérir le malade, s’Il le veut, mais il s’en remet entièrement au jugement de
Jésus pour savoir ce qu’il faut faire. Il a tellement confiance en Jésus qu’il croit fermement que
celui-ci n’a pas besoin de se déplacer pour guérir son serviteur, et il veut éviter à Jésus de contracter
une souillure rituelle. D’ailleurs, dans le passage parallèle de l’évangile de Luc (Lc 7,2-10), le
centurion ne va même pas trouver Jésus en personne, se jugeant indigne de parler à Jésus, et fait
porter la demande par des amis Juifs.
S’il y a une leçon à retenir pour nous de cet évangile, c’est bien cette confiance sans limites.
Nous pensons « avoir la foi » parce que nous croyons un certain nombre de vérités — et il est bien
exact que ces vérités nous guident dans notre vie quotidienne, elles sont comme une lampe pour nos
pas (Ps 118 [hb 119],105) — mais la lampe ne sert que si nous nous en remettons entièrement et en
toute confiance à Celui vers lequel elle nous guide !
Et cet épisode d'un païen dont Jésus fait l'éloge nous renvoie aussi à une question que nous
nous posons sans doute souvent : quel peut être le sort de ceux qui ne croient pas ? Jésus y répond
lui-même : « Beaucoup viendront de l'orient et de l'occident, et auront place au festin avec
Abraham, Isaac et Jacob, dans le Royaume des cieux ; mais les enfants du royaume seront jetés
dans les ténèbres extérieures ». Il l’avait déjà formulé d'une autre manière : « Ceux qui me disent :
“Seigneur, Seigneur!” n'entreront pas tous dans le royaume des cieux, mais celui-là seul qui fait la
volonté de mon Père qui est dans les cieux » (Mt 7,21). Qu’est-ce à dire ? Cela signifie que Dieu
nous jugera sur la confiance que nous avons en Lui — ou même, pour être plus précis encore, que
c'est cette confiance absolue en Dieu qui seule peut nous guider vers Lui. Dieu n’est pas un
marchand de miracles, Il est un Père aimant, et Il attend tous et chacun de ses enfants, même ceux
qui n’ont pas encore découvert son vrai visage.
Parmi ceux qui ne partagent pas notre foi, il y en a assurément beaucoup qui font de leur
mieux, en vertu de ce qu’ils ont compris, pour vivre dans la vérité, la droiture et la justice : en
quelque sorte, ils font confiance à la Révélation telle qu’ils ont pu la recevoir à travers la création
(cf. Rom 1,20 : « Les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles depuis la création du
monde »). Saint Paul l’a aussi répété autrement : « Ce ne sont pas ceux qui écoutent la loi qui sont
justes devant Dieu, mais ce sont ceux qui la mettent en pratique qui seront justifiés » (Rom 2,13).
Car faire la volonté de Dieu, ou encore mettre en pratique la Loi, cela suppose que l’on
s’abandonne totalement à la volonté de Dieu dans la confiance. Et, inversement, croire en Jésus
sans adopter une conduite qui essaie de se conformer au mieux à celle qu’Il a enseignée, c’est en
quelque sorte se moquer de Lui, utiliser son Nom pour couvrir nos propres péchés sous un faux
vernis de piété.
Il est vrai qu'il ne nous est pas facile de faire totalement confiance à Dieu, de « tout lâcher »,
de s'abandonner à sa volonté à l’exemple de Jésus lui-même, qui n’a jamais fait qu’accomplir à la
perfection la volonté du Père des cieux (Jn 4,34 ; 5,30 ; 6,38). Nous ne pouvons pas y parvenir par
nos propres forces. Mais n'oublions pas que, comme l'a dit encore Jésus : « Aux hommes c'est
impossible, mais à Dieu tout est possible » (Mt 19,26 ; Mc 10,27).
Essayons de nous y mettre dès aujourd’hui !