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Funérailles du Père Nicolas Egender 5 juin 2025

Consummatum est ! C’est accompli ! C’est achevé ! Certaines traductions
insistent : « Tout est achevé » (Jn 19, 30). Ces paroles du Christ en croix, juste
avant de rendre l’esprit, m’ont paru s’imposer au terme d’une vie aussi longue
que celle du Père Nicolas. Une vie si pleinement remplie, si heureusement
remplie. C’est comme si la mesure était comble et que l’on ne puisse plus rien y
ajouter. Le Père Nicolas s’en est allé « rassasié de jours » selon la belle
expression biblique (Gn 25, 8 ; 35, 29 ; 1 Ch 29, 28) et l’on peut ajouter,
toujours selon la Bible, « dans une vieillesse heureuse ». Mis à part les quelques
derniers jours où une fracture à l’épaule l’a fait souffrir, on peut dire que le Père
Nicolas a gardé la forme jusqu’au bout, même s’il sentait ses forces décliner,
mais pas au point de l’immobiliser totalement. Bien loin de là !
Depuis quelques années, anniversaires et jubilés se sont succédés donnant
l’occasion de dresser un portrait du Père Nicolas que chacun peut compléter en
fonction de ses souvenirs. Personnalité riche et attachante, le Père Nicolas était
un homme pétri d’Écriture Sainte, et tout autant de Liturgie, témoin en cela de la
tradition monastique la plus authentique qui puise également sa sagesse chez les
Pères du désert et les Pères de l’Église. Celui que la plupart d’entre nous ont
connu comme un ancien (un grand ancien) a d’abord été un disciple et il l’est
resté : disciple du Christ, de saint Benoît, de dom Lambert Beauduin. On peut
aussi ajouter disciple d’Origène qu’il a tant aimé. Cordial, attentif aux autres et
d’un tempérament convivial, il n’était jamais avare d’encouragements et de
conseils prodigués avec gentillesse, parfois avec humour. Doyen d’âge et de
profession de la communauté, le Père Nicolas en était aussi le plus jeune de
cœur et d’esprit. C’est sans doute ce qui rendaient si faciles ses contacts avec les
enfants et les jeunes auxquels il est resté attentif jusqu’au bout.
Je crois qu’il n’y a pas de monastère centenaire, - c’est notre cas cette année, -
qui puissent se vanter, - osons le mot, - d’avoir un moine antérieur à sa
fondation. Né à Mulhouse le 19 août 1923, le Père Nicolas (Pierre Egender)
précède de deux ans la fondation par dom Lambert Beauduin du Prieuré pour
l’Union des Églises qui vit le jour en novembre 1925. Je ne reprendrai pas par le
détail une si longue vie, je n’en citerai que quelques étapes importantes. Dès sa
jeunesse, à la paroisse Saint-Étienne de Mulhouse, le Père Nicolas a eu la
chance d’être initié à la liturgie dans l’esprit du renouveau liturgique, ce qui
l’amena tout naturellement à rencontrer dom Lambert Beauduin à Paris en 1945,

puis à entrer à Chevetogne en janvier 1946, en même temps que celui qui sera
son jumeau dans la vie monastique, le Père Emmanuel Lanne. Profès le 15 avril
1947, prêtre le 30 septembre 1950 au terme de ses études au Collège Saint-
Anselme à Rome, il est assez vite nommé maître des novices (1954), puis sous-
prieur, et enfin prieur conventuel de 1963 à 1971, charge qu’il exercera le plus
possible dans l’esprit de dom Lambert Beauduin, selon trois grands axes :
liturgique, œcuménique et pastoral. Années riches, mais difficiles de la mise en
œuvre du Concile Vatican II qui marque aussi la reconnaissance des intuitions
du fondateur d’Amay-Chevetogne en matière de liturgie et d’œcuménisme.
Après sa démission comme prieur en 1971 et un repos bien mérité à Bioggio et à
Milez, le Père Nicolas exerce diverses charges à Chevetogne, notamment
comme maître de chœur dans les deux églises et à la revue Irénikon. Puis en
1979, il est élu abbé de l’Abbaye de la Dormition à Jérusalem.
Jérusalem a été une étape décisive, une étape de milieu de vie si l’on veut, - le
Père Nicolas avait 56 ans quand il y est arrivé, - c’est comme un nouveau départ.
Il va y donner toute sa mesure se faisant tout à tous, multipliant les contacts
œcuméniques dans cette ville où se côtoient, sans toujours se rencontrer,
chrétiens de toutes confessions, juifs et musulmans, et où se célèbrent tant de
liturgies selon les rites les plus variés auxquelles le P. Nicolas ne manque pas de
prendre part, avec une prédilection pour la liturgie arménienne. Il recevra
d’ailleurs la dignité de vardapet du Patriarcat arménien de Jérusalem, tout
comme, dans un autre domaine, il sera fait citoyen d’honneur de Jérusalem. Son
champ d’action est vaste et multiforme. C’est également pour lui l’occasion de
se plonger dans l’humus biblique en sillonnant le pays de toutes parts, mais aussi
de fréquenter les hauts lieux du monachisme comme Saint-Sabas. La Dormition
qui héberge les étudiants du Studienjahr auxquels le Père Nicolas prête une
particulière attention, est, pour beaucoup de pèlerins, un point de chute où le
Père Nicolas les accueille et les entretient de la Terre Sainte, se faisant parfois
leur cicérone dans la Ville et le Pays. Il y restera 18 ans, puis reviendra à
Chevetogne passer les quelque 30 dernières années de sa vie.
Des années d’activité débordante et féconde. Comme il le disait à l’occasion de
ses 50 ans de profession monastique en 1997 : « Il ne faut jamais rester statique,
jamais ne regarder qu’en arrière, mais toujours avoir le regard vers l’avenir ». Je
puis vous assurer, et d’autres avec moi, que ce principe, il l’a mis en pratique
jusqu’à la veille de mourir, mêlant souvenirs et projets. Rentré à Chevetogne, il
se replonge, toujours enthousiaste, dans la revue Irénikon, y multipliant les
recensions et y publiant des articles substantiels. À aucun moment, son intérêt ne
faiblit pour ses centres d’intérêt déjà évoqués et pour la vie de l’Église dans son

ensemble. C’est aussi l’époque où, réalisant un vieux rêve de jeunesse, il
parraine, - c’est son expression, - une cella monastique à la Reichenau. Au profit
de tous, il fait fructifier la graine jetée en terre, - en Terre Sainte s’entend, -
notamment dans ses homélies toujours savoureuses, parce qu’alimentées par sa
lecture continue, sans cesse recommencée, de l’Écriture Sainte et par sa
connaissance concrète des lieux où le Verbe de Dieu s’est fait chair. Il en
recueillera une cinquantaine dans un livre intitulé Tu m’as séduit, Seigneur ! -
titre qui en dit long sur l’esprit et l’amour qui animaient le Père Nicolas. Ce livre
fait suite à deux autres où il consigne tout autant sa passion pour le monachisme
palestinien des premiers siècles que pour la liturgie. La description des grandes
fêtes de la liturgie byzantine fait l’objet d’un livre intitulé Pâques, car c’est à
Pâques que tout commence et que tout aboutit, et vice versa. Pâques, la
résurrection du Christ, cœur de notre foi et sa première annonce, est le grand
mystère qui domine toute la vie du Père Nicolas. Pâques mobilise toutes ses
énergies, et nous l’avons encore vu cette année participer de jour et de nuit aux
célébrations pascales. « Au monastère, aime-t-il répéter, c’est Pâques tous les
dimanches, et dimanche tous les jours. » Dimanche, Pâques hebdomadaire, et
comme disait dom Lambert Beauduin, « jour œcuménique par excellence »
parce que célébré par toutes les Églises.
C’est vous dire si les lectures que nous avons entendues au cours de cette
célébration, qui sont celles prévues pour le jeudi de la 7 e semaine de Pâques,
entre l’Ascension et la Pentecôte, sont de circonstance (Ac 22, 30 ; 23, 6-11 ; Jn
17, 20-26). Elles reflètent le Père Nicolas comme en un miroir. Paul affirmant
haut et clair, - et Dieu sait si le Père Nicolas pouvait affirmer ses convictions
avec vivacité, - Paul donc affirmant son espérance en la résurrection, une
espérance qui n’a jamais fait défaut au Père Nicolas et qui s’est même
intensifiée au fil des ans. Et puis, la prière de Jésus « Que tous soient un ! », là
aussi paroles chargées d’espérance dont le mouvement liturgique, puis le
mouvement œcuménique ont fait leur devise. Et l’on sait qu’au-delà de tous les
jalons que l’on peut poser et qu’il faut poser, il n’y aura vraiment d’unité visible
que lorsque tous les chrétiens se retrouveront ensemble à la même table
eucharistique. Il y a là comme un fil rouge qui traverse toute la vie du Père
Nicolas et le rattache irrésistiblement au Christ qu’il retrouve aujourd’hui là où
il est, in sinu patris, dans le sein du Père ! Puisse-t-il y intercéder pour nous !