Veux-tu guérir ? La question que pose Jésus au paralytique semble absurde : cet homme,
infirme depuis 38 ans, était là depuis longtemps en attendant un miracle potentiel, et Jésus lui
demande s’il veut guérir ! Mais, à bien y regarder, la question est loin d’être vide de sens. Car cet
homme savait aussi qu’il n’avait aucune chance d’arriver le premier dans la piscine lorsque l’eau
bouillonnait, comme il le dit clairement lui-même à Jésus. En fait, il était là tout simplement pour
se nourrir d’espoir — et nous savons que l’espoir fait vivre, que sans espérance la vie semble
perdre son sens.
Mais Jésus, justement, se place sur un autre plan, Il veut ouvrir l’homme à une autre
dimension, celle de l’inattendu. Car la parole que lui dit Jésus, Lève-toi, prend ton grabat et
marche, est apparemment un non-sens. L’homme aurait dû naturellement répondre qu’il ne
demanderait pas mieux que de le faire, mais qu’il n’en avait pas les moyens. Or, voilà qu’il se
trouve guéri, qu’il peut se lever et s’en aller avec son grabat sur le dos ! Cet épisode doit nous
interpeller, nous qui le lisons deux mille ans plus tard et qui savons qui était Jésus.
Car la parole de Jésus s’adresse aussi à nous aujourd’hui : Veux-tu guérir ? Pour qu’elle
fasse sens, il faut tout d’abord que nous ayons conscience d’être malades. Le paralytique ne
pouvait pas marcher. Si nous avons la chance d’être en bonne santé, nous risquons de trouver la
question déplacée. Mais n’y a-t-il que la santé physique ? Il suffit d’ouvrir les yeux pour se rendre
compte que notre société est gravement malade, que, malgré le fait que la médecine d’aujourd’hui
fasse littéralement « des miracles », il n’y a peut-être jamais eu dans l’histoire autant de personnes
déprimées, ne sachant pas pourquoi elles vivent, de suicides de jeunes et d’épisodes de violence
apparemment sans raison, effet d’un mal-être diffus partout, dont tout le monde perçoit bien la
présence sans que presque personne ne l’affronte vraiment. Le mal qui frappe notre société — et
réalisons bien qu’il frappe surtout les pays qui, comme le nôtre, jouissent d’un niveau de vie élevé
— n’est-il pas précisément l’absence d’espoir ? Qu’espère-t-on, sinon une augmentation de salaire
ou de pension, de belles et riches vacances, et peut-être, mieux encore, de gagner un gros lot qui
soi-disant « changera notre vie » ? Nous raisonnons comme si tout devait s’arrêter non seulement
le jour de notre mort terrestre, mais même que si la seule raison de vivre était de jouir d’une vie
confortable. N’avons-nous vraiment rien de mieux à espérer ?
Certes, une vie familiale réussie compte aussi pour beaucoup — mais justement cette vie
familiale n’est-elle pas souvent un peu trop liée au confort matériel ? Les pauvres, ceux qui ont
vraiment du mal à « nouer les deux bouts », ne se sacrifient-ils pas de tout coeur pour que leurs
enfants puissent avoir une vie meilleure ? Et s’il est plus que légitime d’espérer que leurs enfants
leur en seront reconnaissants et les aideront en retour quand le jour sera venu, ne peut-on pas dire à
juste titre à leur propos qu’ils mettent en pratique cette parole de Jésus que nous rapportent les
Actes des Apôtres : Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir (Act 20,35). Non seulement
l’espérance des pauvres, que leurs enfants puissent avoir une vie meilleure qu’eux-mêmes, donne
un sens à leurs sacrifices et à leur vie, mais aussi elle leur fait toucher du doigt, peut-être à leur
insu, une caractéristique de Dieu. Car, s’il est vrai que Dieu est amour, Jésus nous a montré
jusqu’où pouvait aller le sacrifice dans l’amour, par son Incarnation, par sa Passion et par le don de
l’eucharistie qu’Il nous a fait. Dieu, à qui nous attribuons l’état de bonheur parfait, n’est Lui-même
que parce qu’Il donne tout, absolument tout, qu’Il est pur don dans le respect le plus absolu de
l’autre, quel que soit cet autre. Et son seul espoir, si j’ose ainsi parler de ce que Dieu peut « penser
et ressentir », c’est que toutes et chacune de ses créatures soit totalement heureuse. Mais Dieu sait
aussi que le vrai bonheur ne réside pas dans ce qui est matériel — même si nous, êtres humains de
chair et d’os, avons besoin aussi d’un minimum de matière pour maintenir cette vie terrestre qui est
la nôtre — mais dans le sens que nous donnons à ces années de vie terrestre.
Et si pareil bouleversement de la vie que nous connaissons nous paraît impossible et sonne
pour nous comme un rêve d’enfant, nous pouvons non seulement relire le passage des Actes des
Apôtres entendu aujourd’hui, avec deux miracles inattendus, mais aussi nous référer à ces
« phénomènes inexplicables par l’état actuel de la science », pour employer un terme neutre, que
sont des guérisons, rares certes mais bien attestées, qui se produisent parfois à Lourdes et à bien
d’autres endroits. Je ne veux pas en faire une « preuve », pas plus que Jésus ne l’a voulu, car il ne
s’agit pas d’imposer quoi que ce soit à qui que ce soit, mais tout simplement nous rappeler que, si
nous voulons être honnête et donner vraiment sens à notre vie, nous ne pouvons pas exclure a
priori ce qui nous dérange, ou tout simplement qui ne correspond pas à nos catégories. Même
Shakespeare nous rappelle que « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, Horatio, que n'en
imagine ta philosophie ».
Et c’est là que j’en reviens à la question de Jésus au paralytique : Veux-tu guérir ? Car pour
vouloir guérir, il faut d’abord avoir conscience que l’on est malade… Nous posons-nous
suffisamment la question de savoir quel sens a notre vie pour nous ? Sommes-nous prêts aussi à
obéir à l’invitation de Jésus, pour absurde qu’elle puisse nous paraître, quand Il nous dit : Lève-toi
et marche ? Autrement dit, sommes-nous prêts à donner à notre vie un sens auquel nous n’avons
pas encore songé jusque là ? Et si l’invitation de Jésus nous bouscule et risque de changer notre
train-train quotidien, sommes-nous prêts à croire, et mettre en pratique, la parole de Jésus : Il y a
plus de bonheur à donner qu’à recevoir ? Ou, pour le dire autrement, ne sommes-nous pas, parfois,
trop riches de ce que nous avons pour nous rendre compte que notre santé spirituelle laisse à
désirer ? Ouvrons les oreilles de notre coeur et écoutons l’appel de Dieu !
Christ est ressuscité !