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Pâques

Aussi étrange que cela puisse paraître, il n’y a pas chez les disciples de Jésus en
ce premier jour de la semaine, en ce matin de Pâques, le moindre signe
d’espérance en la résurrection. Il ne semble guère y en avoir davantage, du
moins pour certains, le soir de ce même jour. Qu’il suffise de se rappeler
combien les disciples d’Emmaüs sont désabusés et attristés (Lc 24, 17).
L’histoire de Jésus, de leur rabbi, leur maître, porteur de tant d’espoirs, s’est
achevée pitoyablement sur l’échec de la croix. Et les disciples, les Onze y
compris, s’y sont résignés. Subtiliser le corps comme cela a été suggéré et
inventer un récit de résurrection ne leur effleurent même pas l’esprit (Mt 27, 64 ;
28, 11-15). À la limite, pourrait-on dire, ce qui les préoccupe à présent c’est de
sauver leur peau. Ayant abandonné Jésus au jardin des oliviers (Mt 26, 56), ils
ont suivi les événements de loin (Lc 22, 52 ; Jn 18, 15)), quand ils ne se sont pas
cachés, et à présent, apeurés, ils sont enfermés en un même lieu (Jn 20, 19).
Quand les femmes qui, plus courageuses, étaient au pied de la croix et ont vu où
l’on déposait le corps de Jésus supplicié (Mc 15, 47), sortent les premières, de
grand matin, alors qu’il fait encore sombre, c’est pour aller achever les rites
d’embaumement (Mc 16, 1-2). Elles sont encore tournées vers le passé. Jésus
ressuscité va les retourner vers l’avenir. L’apparition à Marie de Magdala en est
la parfaite illustration puisqu’elle se retourne quand Jésus prononce son nom
sans doute d’une façon qui lui était particulière (Jn 20, 16).
Quant aux apôtres, rappelons-nous que lorsque Jésus leur annonçait sa passion et
sa résurrection, ils se sont toujours demandés ce que « ressusciter d’entre les
morts » pouvait bien signifier (Mc 9, 10). C’est au point que l’évangéliste Jean,
comme nous venons de l’entendre (Jn 20, 9), dit que les disciples « ne savaient
pas encore que, d’après l’Écriture, [Jésus] devait ressusciter d’entre les morts ».
A plusieurs reprises, il rappelle aussi que ce n’est qu’après la résurrection que
les disciples comprirent les paroles de Jésus (Jn 2, 22). Et pour sa part,
l’évangéliste Luc montre Jésus expliquant à ses disciples ce qui le concernait
dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes (Lc 24, 27. 44).
En ressuscitant, Jésus surprend donc ses disciples. Il lui faudra encore vaincre
leur peur et leur doute, leur ouvrir l’esprit à l’intelligence des Écritures (Lc 24,
45) et leur prouver qu’il n’est pas un fantôme (Lc 24, 39-43) avant que n’éclate
leur joie. Les disciples s’empressent de rechercher le crucifié pour l’embaumer,
le maintenir en son état, ou tout au plus constater que le tombeau est vide, et le

ressuscité vient au-devant d’eux pour les envoyer en mission (Jn 20, 21) et en
faire ses témoins (Lc 24, 48 ; Ac 10, 39 - 41). Et comme les anges le leur feront
remarquer, - sans doute expression a posteriori d’une prise de conscience des
disciples, - « pourquoi chercher le Vivant parmi les morts » ? (Lc 24, 5) Il vient
à leur rencontre (Mt 28, 9) ou les rejoint sur le chemin (Lc 24, 15), se trouve au
milieu d’eux, toutes portes closes (Jn 20, 19), ou les convoque en Galilée (Mt
28, 7 ; Mc 16, 7). Et de ceux qui l’ont reçu et l’ont suivi, il fait, malgré leur
faiblesse, des témoins privilégiés, comme nous venons de l’entendre de la
bouche de Pierre (Ac 10, 40 - 41) : « [Dieu] lui a donné [à Jésus] de se
manifester, non pas à tout le peuple, mais à des témoins que Dieu avait choisis
d’avance, à nous qui avons mangé et bu avec lui après sa résurrection d’entre les
morts ». C’est à partir de là que tout s’éclaire et qu’à la lumière de la
résurrection, se fait une relecture de la vie et de la mort de Jésus venu annoncer
le Règne de Dieu et la conversion pour le pardon des péchés, et que s’écrivent
les Évangiles.
Comme Jésus ressuscité a rejoint chacun de ses disciples là où il se trouvait, il
nous rejoint aussi, nous qui avons été baptisés dans sa mort pour ressusciter avec
Lui, et il nous invite à Le connaître toujours davantage par la fréquentation des
Écritures et le partage du pain et du vin, son Corps et son Sang. Laissons-nous
surprendre par Jésus ressuscité au milieu de nos inquiétudes, de nos peurs, de
nos enfermements, de nos doutes et de nos abandons, ouvrons-nous à l’inédit de
Dieu et trouvons-y notre force. Laissons éclater notre joie de nous savoir
pardonnés, sauvés parce que nous sommes aimés. De cela, nous sommes
témoins parce que Jésus est ressuscité et que nous sommes ressuscités avec Lui !