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Dimanche des Rameaux

Jésus entre à Jérusalem au milieu de la liesse générale. Les disciples qui
l’entourent et la foule venue l’accueillir se réjouissent. Mais qu’en est-il de cette
joie ? De quelle espérance est-elle l’expression ? Nous le savons : tant les
disciples les plus proches de Jésus, les Douze, que les foules rencontrées au
hasard de ses pérégrinations, se méprennent sur la portée réelle de sa mission.
Tous attendent un messie politique et la restauration de la dynastie du roi David.
D’où l’acclamation : « Béni soit le Règne qui vient, celui de David, notre père »
(Mc 11,10).
Au milieu de cette liesse générale, Jésus est seul à s’avancer en pleine
conscience du drame qui va se jouer. À plusieurs reprises, dans sa montée vers
Jérusalem, il a annoncé ce qui allait lui advenir (Mc 8, 31 ; 9, 30-32 ; 10, 32-34)
sans que pour autant ses disciples comprennent bien ce dont il s’agissait ou
qu’ils soient prêts à l’accepter, comme nous l’avons vu de Pierre (Mc 8, 32)
aussitôt après avoir proclamé, au nom des Douze, que Jésus est bien le Messie,
le Fils du Dieu Vivant (Mc 8, 29). Impossible d’avoir un Messie souffrant !
L’entrée de Jésus à Jérusalem marque l’accomplissement de sa mission :
l’annonce du Règne de Dieu au cœur même de la foi d’Israël : Jérusalem et son
Temple, lieu par excellence de la présence de Dieu au milieu de son peuple.
Et cette entrée de Jésus à Jérusalem ne manque pas de mise en scène. Elle a une
portée symbolique voulue par Jésus lui-même. Les gestes qu’il pose, il les pose
à la manière des prophètes, il anticipe ce qui doit arriver, en l’occurrence le
Règne de Dieu tout proche. D’où l’entrée sur un âne à la manière des rois, avec
en arrière-fond la réminiscence de la prophétie de Zacharie : « Voici ton roi qui
vient à toi : il est juste et victorieux, pauvre et monté sur un âne, un ânon, le petit
d’une ânesse » (Za 9, 9). Il y a donc bien annonce du Règne de Dieu, encore
ne faut-il pas se méprendre sur la nature de ce Règne.
Le geste est prophétique, Jésus envoie deux de ses disciples en avant-coureurs,
quérir un âne, sans doute chez l’un de ses sympathisants à Béthanie (Mc 11, 2-
4), comme plus tard il en enverra deux autres pour réserver la salle où il prendra
son dernier repas avec les Douze (Mc 14, 13-16). À chaque fois, Jésus décrit à
ses disciples ce qui va leur arriver, ce qu’on leur demandera et ce qu’ils auront à
répondre. Déjà au cours de son ministère en Galilée, il avait envoyé ses disciples
deux par deux pour annoncer la bonne nouvelle du Règne de Dieu, leur
prédisant d’éventuelles difficultés (Mc 6, 6-13). Si lui-même s’est vu contester
en Galilée, le moment est à présent venu d’annoncer le Règne de Dieu à

Jérusalem même, dans un milieu qui lui deviendra très vite hostile en raison de
l’omniprésence et de la vigilance des grands prêtres et des anciens qui se sentent
menacés et craignent pour la tranquillité publique. Ils voient d’un mauvais œil
celui qu’ils considèrent comme un agitateur qui brise tous les codes de conduite,
le « politiquement correct », et risque de provoquer des représailles de la part de
l’occupant romain.
Et nous ? Nous qui, à l’unisson de ces foules d’autrefois, nous réjouissons
aujourd’hui de la venue du Seigneur, notre joie est-elle aussi teintée d’illusion et
attendons-nous de ce Roi, que nous acclamons, quelque avantage mondain qu’il
soit matériel ou non ? Ou reconnaissons-nous en Jésus celui qui nous annonce le
Règne de Dieu déjà parmi nous, ce Règne qui « est justice, paix et joie dans
l’Esprit Saint » (Rm 14, 17) et à l’extension duquel nous sommes appelés à
travailler au prix de bien des contradictions dans un monde qui lui est encore
trop souvent hostile ? Exigeant témoignage que cet engagement à la suite du
Christ. Il est fait de renoncement et de conversion parfois douloureuse. Aura-t-il
raison de notre fidélité ? Ou notre humble persévérance nous donnera-t-elle la
joie d’avoir part à la Résurrection ?