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Cinquième dimanche de carême- Ste Marie-l'Egyptienne

Juste avant l’évangile que nous venons de lire, Jésus annonce pour la troisième fois à
ses disciples qu’Il va être livré aux mains des païens, être mis à mort, mais que le troisième
jour Il ressusciterait (Mc 10,32-34). Et voici que, suite à cela, Jacques et Jean lui demandent
de pouvoir siéger à sa droite et à sa gauche dans le Royaume ! Une fois de plus, les disciples
ne semblent pas avoir compris quel est le salut que Jésus est venu apporter sur terre !
(Bon, soyons honnêtes, est-ce que nous-mêmes l’avons mieux compris, deux mille ans
après que l’évangile ait été annoncé ? N’attendons-nous pas un peu trop le « paradis » comme
un lieu de délices, une récompense qui serait bien méritée pour avoir simplement cru en Jésus
et avoir fait quelques efforts ?)
En effet, siéger à sa droite et à sa gauche, cela signifie la récompense éternelle, le
bonheur définitif pour l’éternité. Et, comme nous l’a dit explicitement le passage de l’épître
aux Hébreux qui a été lu, Jésus est le grand-prêtre des biens à venir, c’est-à-dire celui à qui a
été confié le pouvoir de les administrer, celui qui peut, pour parler plus simplement, « faire
entrer au paradis ». Mais voilà que Jésus les détrompe : quant à être assis à ma droite ou à ma
gauche, il ne m’appartient pas de le donner !
En fait, Jésus nous remet les pieds sur terre, comme Il l’a fait pour les deux apôtres : Il
n’est pas venu pour nous traiter comme des enfants que l’on gâte, mais pour nous faire
comprendre que notre salut dépend de nous seuls !
Enfin, cela ne dépendait pas tout à fait « de nous seuls », car le mal est bien présent sur
terre, et il est plus fort que nous. Mais justement Jésus est venu pour vaincre le mal — c’est ce
que signifient les paroles de Jésus annonçant qu’Il sera mis à mort, mais que le troisième jour
Il ressuscitera. Mais à présent que Jésus est mort et ressuscité, ce qui est le cas pour nous à
présent, c’est de nous-même que dépend le salut, de notre volonté de suivre ses pas, de boire
le calice qu’Il va boire. Autrement dit, le bonheur annoncé par Jésus, ce n’est pas quelque
chose que l’on pourrait acheter par des moyens humains, que ce soit l’argent, le « piston »
qu’imaginaient Jacques et Jean à ce moment, ou tout autre moyen extérieur à nous-mêmes,
mais c’est en étant baptisé du baptême de Jésus.
Heureusement pour nous, il ne s’agit pas toujours de monter sur la croix – quoique ce
soit bien le cas pour les martyrs –, mais de vivre comme Jésus l’a enseigné, de retrouver la
vérité de notre nature humaine. Rappelons-nous que l’être humain a été créé à l’image et à la
ressemblance de Dieu, et que la liberté, la capacité de s’auto-déterminer, est inhérente à
l’essence de Dieu, tout comme l’amour, la bonté, la vérité... et le fait de se donner
entièrement pour les autres. Comme l’a dit S. Bernard de Clairvaux (et non pas S. Augustin) :
« la mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure ». Et c’est cela, la clé du bonheur : devenir
le plus possible, dans la mesure de nos capacités, « comme Dieu », ou pour citer saint Jean,
devenir enfants de Dieu (Jn 1,12). Autrement dit, il s’agit de revenir à notre nature telle que
Dieu l’a créée, revenir au « paradis perdu » par la faute d’Adam et Ève – c’est-à-dire en fait
perdu pour chacun de nous par nos propres fautes, car nous sommes tous, en quelque mesure,
Adam et Ève, et c’est bien en cela que, comme le chantent les offices de carême, nous
« pleurons le paradis perdu ». Ce paradis, le Christ nous en a ouvert la porte, mais Il ne peut
pas nous y faire entrer malgré nous, c’est à chacun de nous de le vouloir, en le mettant en
pratique dans notre vie quotidienne.

Ceci dit, Jésus ne nous a pas laissés à nos propres forces : Il nous a donné la
communauté de son Église, dans laquelle l’évangile est annoncé, les sacrements sont célébrés,
dans laquelle on peut se soutenir mutuellement. Certes, cette Église est faite d’être humains
comme nous, pauvres pécheurs, dont l’attitude est parfois cause de très graves scandales, tout
comme elle peut être à l’origine de puissants encouragements : une fois de plus, comme Jésus
l’a dit à Jacques et Jean, il ne Lui appartient pas de le donner, c’est à chacun d’avoir le
courage d’assumer sa propre conduite, de prendre ses responsabilités et de savoir discerner le
bien du mal. Et d’être capable de raisonner de manière logique : si le salut de chacun dépend
de notre propre attitude, et non pas d’un Dieu qui nous gérerait comme on manipule des
marionettes, il faut avoir le courage de reconnaître aussi que les malversations et les scandales
qui peuvent se produire dans l’Église, tout comme d’ailleurs les actes de vertu qui s’y
déploient, sont le fait de nous les êtres humains, de nous les chrétiens qui sommes et restons
tous de pauvres pécheurs. Si l’Église se comporte mal, ce n’est pas Dieu lui-même qu’il faut
accuser, ou remercier, mais notre faiblesse humaine – ou au contraire remercier Dieu d’avoir
donné un tel pouvoir aux hommes lorsque l’Église se comporte de manière exemplaire (ce
qui, grâce à Dieu, arrive aussi !) Car Dieu nous a ouvert la route, mais c’est à nous de la
suivre ou de refuser de le faire.
Et de ce point de vue, par rapport aux fautes et aux scandales, il faut aussi savoir
accepter que Dieu a le pouvoir de pardonner tous les péchés, les nôtres comme ceux d’autrui,
et d’être capables d’accepter que, quel que soit le mal commis, personne n’est jamais
condamné définitivement aussi longtemps qu’il ou elle peut se repentir. Cela devrait nous
arranger lorsque c’est nous-même qui sommes en faute – quoique, à ce que l’on voit de nos
jours avec la mode de « culpabiliser », le manque de foi pousse aussi l’être humain à ne pas
arriver à se pardonner à soi-même –, mais on doit aussi être capable d’admettre que « à tout
péché miséricorde », bien sûr à condition qu’on le regrette.
En ce cinquième dimanche de carême, nous faisons justement mémoire de sainte Marie
l’Égyptienne, une jeune femme qui avait d’abord vécu dans le libertinage, mais qui a réalisé à
un moment donné où cela la menait ; elle a alors fait ample pénitence pour revenir à Dieu et
Lui consacrer tout ce qui restait de sa vie. Arrêtée devant la porte de l’église par une force
mystérieuse, elle ne put y entrer qu’après avoir invoqué la Vierge Marie et décidé de se
convertir ; elle entra, elle communia, puis partit au désert pour y passer le restant de ses jours
dans la prière et la pénitence. J’en retiens d’abord que personne n’est jamais définitivement
séparé de Dieu aussi longtemps que l’on a la possibilité de se convertir, et ensuite que la
communion au Corps et au Sang du Christ purifie notre conscience des oeuvres mortes, pour
que nous servions le Dieu vivant, comme l’épître aux Hébreux (9,14) vient de nous le
rappeler. Communier, ce n’est pas seulement un acte de foi, c’est aussi s’engager à faire de
son mieux pour purifier notre conscience des oeuvres mortes et servir Dieu et les autres, tout
comme le Fils de Dieu, qui n’est pas venu pour être servi, mais pour servir. Tout comme il
n’appartenait pas à Jésus d’attribuer de siéger à sa droite ou à sa gauche, le Sang du Christ ne
peut nous purifier que dans la mesure où nous-mêmes choisissons librement de vivre comme
Lui, dans la mesure de nos forces. Aidons-nous donc les uns les autres, dans l’Église, à vivre
cet engagement en vérité.