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Nuit de Noël

Douce nuit … chante un cantique populaire connu sous toutes les latitudes. Sans
doute en connaît-on plus la mélodie que les paroles, mais cette nuit, en bien des
endroits du monde, cette mélodie est couverte par le bruit des armes. Douce nuit
qui a vu naître le Sauveur du monde en des circonstances qui n’étaient pas
faciles pour ses parents à la recherche d’un gîte. Douce nuit qui voit encore
naître bien des enfants en des situations pénibles que ce soit dans le métro de
Kiev ou dans les hôpitaux de Gaza, quand ce n’est pas sur les routes de l’exode,
aux frontières d’un pays inconnu, mais où l’avenir semble meilleur. Douce nuit
… et que dire de ces enfants disparus dans les flots de la mer ou dans la
traversée du désert ? Que dire de ces enfants sans parents et de ces parents sans
enfants parce que les uns et les autres ont été perdus ? Que dire aussi de ces
enfants abusés et violentés de multiples façons ?
Voilà de bien sombres propos pour une nuit de Noël, une nuit qui se veut douce !
Mais « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande
lumière » (Is 9, 1). Nous ne sommes pas ici pour nous apitoyer, mais pour
partager notre espérance et célébrer notre foi, sans oublier ceux et celles pour
qui cette nuit est moins douce. Ne laissons pas anesthésier notre cœur en
feignant de ne rien savoir, ne laissons pas tomber dans l’indifférence tous ces
blessés de la vie auxquels le Christ est venu rendre leur dignité d’enfants de
Dieu. Reconnaissons que nous vivons un bonheur qui n’est pas sans ombre, mais
qui est néanmoins chargé de promesses. C’est ainsi qu’espérant contre toute
espérance, les pauvres de cœur, les affamés et assoiffés de justice, les affligés,
les miséricordieux, les doux et les artisans de paix se fraient un chemin à travers
cette humanité déchirée jusqu’à ce qu’ils s’entendent dire : « Venez les bénis de
mon Père, recevez en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis la
fondation du monde » (Mt 25, 34). Et cela pour avoir donné à manger aux
affamés, à boire aux assoiffés, pour avoir accueilli l’étranger, visiter les malades
et les prisonniers, et ainsi l’avoir fait au Seigneur en le faisant au plus petit de
ses frères (Mt 25, 40). Et cette nuit, ce plus petit, c’est le Seigneur lui-même
déposé dans la crèche.
Entretemps, heureux sont-ils d’avoir été à l’écoute de la Parole de Dieu, du
Verbe fait chair, de s’être mis à sa suite, à l’école de Celui qui est « doux et
humble de cœur » (Mt 11, 29), et d’avoir mis en pratique l’évangile du salut.
C’est Jésus lui-même qui le dit : « Heureux ceux qui écoutent la parole de Dieu
et l’observent », alors qu’une femme dans la foule élève la voix et s’écrie :

« Heureuses les entrailles qui t’ont porté et les seins que tu as sucés ! » (Lc 11,
27-28). Qu’il est bon de le rappeler en cette nuit où nous voyons Marie
« enfanter son fils premier-né, l’envelopper de langes et le coucher dans une
crèche » (Lc, 2, 7). En Marie, le Verbe s’est fait chair parce qu’elle a été toute
écoute et « qu’elle a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du
Seigneur » (Lc 1, 45) !
Et à Marie il a été dit que l’enfant qu’elle concevrait sous la puissance du Très-
Haut serait grand et appelé Fils de Dieu (cfr Lc 2, 31-33). C’est le Dieu-fort
entrevu par Isaïe, mais aussi le Prince de la Paix ! Cette paix annoncée par le
prophète, chantée par les anges, donnée par Jésus à ses disciples et promise à
tous les hommes aimés de Dieu, est sans cesse malmenée et bafouée. Et pourtant
elle est au cœur de cette nuit et, de jour en jour, nous assistons à son difficile
enfantement, les hommes n’ayant pas encore compris que ce sont les artisans de
paix qui sont appelés fils de Dieu et que ce sont les doux qui posséderont la terre
(Mt 5, 9 et 4). Cette paix qui nous est donnée, il nous faut la faire fructifier
comme tout don qui nous est offert. Il nous faut la maintenir entre les hommes
quand il est déjà si difficile de la tenir en son cœur. Cela nécessite bien des
renoncements, bien des efforts et, au risque d’être paradoxal, bien des combats.
C’est dans les douleurs de l’enfantement que la paix naît ou renaît, qu’elle se
maintient aussi, mais alors quelle joie pour le monde ! Et l’ange de chanter :
« Soyez sans crainte, car voici que je vous annonce une grande joie, qui sera
celle de tout le peuple : aujourd’hui vous est né un Sauveur… » (Lc 1, 10-11)
Douce nuit, sainte nuit … et le cantique continue : Dans les cieux ! L’astre luit.
Le mystère annoncé s’accomplit. Cet enfant sur la paille endormi, C’est l’amour
infini !