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Entrée au temple de la Mère de Dieu

Frères et soeurs dans le Seigneur,
Sous des images et symboles puisés dans les Apocryphes, la fête d'aujourd'hui
fait mémoire du fait que la Très Sainte Vierge Marie, Mère de Notre Seigneur Jésus
Christ, s'est donnée à Dieu de façon personnelle dès l'éveil de sa conscience. Ainsi
Marie est modèle de consécration à Dieu. Méditons d'abord sur ce que cela signifie
que d'être consacré au Seigneur, le Dieu vivant et de se donner totalement à lui et à
son service.
Pour nous chrétiens, la consécration fondamentale, celle qui fonde toutes les
autres, est le baptême, la plongée dans la mort et la résurrection du Christ. En théorie
c'est clair, mais en pratique c'est loin d'être ressenti ainsi, cet événement ne résonne
guère au plan existentiel. Si le baptême des petits enfants met bien en relief le fait
que Dieu nous aime le premier, avant toute mérite humaine, que c'est Lui qui veut
que nous soyons sauvés, cette pratique vénérable suppose une initiation continue
dans la vie et dans la foi chrétiennes. Beaucoup d'enfants font des expériences
religieuses profondes qui permettent une croissance de la vie en Christ sous la
mouvance de l'Esprit Saint. Nous y reviendrons toute de suite. D'abord encore ceci :
si Dieu s'est donné à nous dans le sacrement de la régénération qu'est le baptême,
c'est dans l'attente de notre donation consciente à Lui. La Vierge Marie, dont la
vocation était de devenir la Mère du Sauveur, Notre Seigneur Jésus-Christ, a pu
vivre intensément ce 'oui' de la créature à son Créateur, dès son jeune âge. Toute la
religiosité d'Israël était là – l'Alliance, le culte du Temple, la loi de la sainteté – pour
former son coeur dans cette adhésion sans faille à la volonté de Dieu, volonté de
salut pour son peuple et pour toute l'humanité. Disponibilité de la petite Marie en
vue de l'heure de l'annonciation de la joie messianique. Se préparer dans une vie
cachée en présence de Dieu, à la forme concrète que prendrait sa vocation de fille de
Sion.
Chacun d'entre nous, frères et soeurs, est appelé à une vie nouvelle selon le
coeur de Dieu, une vie de consécration, une vie de louange de sa gloire, le sacrifice
prenant parfois une tonalité joyeuse, parfois une tonalité douloureuse, parfois une
plus neutre. Les signes précurseurs d'une consécration plus explicite au Seigneur
dans une vocation particulière, comme sont la vie religieuse, la vie de virginité dans
le monde, le sacerdoce, le diaconat ou encore le mariage-sacrement, ces signes sont
souvent lisibles dans la vie des enfants et des jeunes, car la grâce est l'oeuvre. Mais
qui montre la voie du temple, la possibilité du bonheur à demeurer dans la maison du
Seigneur tous les jours de la vie et d'en savourer la beauté ? Je parle du temple
extérieur qu'est l'église et sa liturgie et du temple intérieur du coeur profond, là où
mûrit lentement ou parfois plus soudainement, la réponse consciente que la personne
veut offrir à Dieu par le don de sa vie : me voici Seigneur, apprends-moi à faire ta
volonté.
Mais revenons maintenant à la croissance. Je suis toujours frappé par
l'exapostilaire chanté après le canon des odes aux matines de la fête. « Marie la

divine enfant, nous voulons la chanter, nous les fidèles, car en ce jour elle entre au
Saint des saints pour y croître devant Dieu ». Déjà dans la 7ième Ode on chantait :
« en sagesse et grâce elle croissait, celle qui devait selon la chair devenir la Mère du
Sauveur...menée au Temple, à l'intérieur, ô Vierge, pour y croître et devenir
l'habitation du Christ notre Dieu ». Comme tout être humain, Marie a eu besoin de
temps et d'espace – sacrés – pour découvrir sa destinée de grâce. Elle est chez elle
dans le saint des saints, car elle est la toute sainte, dès l'instant de sa création. Ce
qu'elle a vécu comme ouverture radicale à l'invasion divine, à tel point de pouvoir
devenir Temple vivant du Seigneur, nous le recevons comme grâce, « élus en Christ,
dès avant la fondation du monde, pour être saints et immaculés en sa présence dans
l'amour » (cf. Ep 1, 4).
Une voie très concrète de croissance spirituelle est l'écoute de la parole de
Dieu. Il est significatif qu'aux fêtes de la Mère du Seigneur, on lit presque toujours
deux passages de l'évangile selon saint Luc : Jésus dans la maison de Marthe et de
Marie et une bénédiction de sa mère par la bouche d'une femme du peuple. Marie de
Béthanie devient ici l'image de Marie de Nazareth. Qu'est-ce que « choisir la
meilleure part » veut dire, sinon « écouter la parole de Dieu et la garder » ? Cette
Parole, c'est le Christ Lui-même, qui par sa seule présence et action révèle et réalise
l'ineffable plan de Dieu pour le salut du monde. C'est la Sagesse que Marie découvre
dans le silence du Temple. Cette écoute est actualisée à chaque fois que l'homme se
tait pour écouter ce que Dieu dit au fond de lui-même, dans le sanctuaire de sa
conscience.
Frères et soeurs, la fête d'aujourd'hui – appelée en Occident la Présentation de
la Vierge – est une invitation à entrer dans le temple de notre âme. Selon l'image
développée dans le Château Intérieur de sainte Thérèse de Jésus, l'âme est composée
de plusieurs demeures et au centre habite le Christ, l'Epoux, le Verbe. Par son unique
sacrifice, le Christ-Jésus a ouvert le saint des saints, cela veut dire qu'Il nous a
introduits pour toujours devant la face du Père, dans le secret de sa Face. Le Temple
céleste est accessible. Mais l'accès au temple intérieur est parfois rendu difficile
parce que nous sommes attirés par tout ce qui se joue dans les faubourgs du temple.
Comme le dit un sermon de Julien, moine de Vézelay (12ème siècle) : « l'Esprit de
vie parle sans cesse à notre âme...mais nous n'entendons pas l'Esprit qui nous parle
parce que nous dirigeons notre attention ailleurs ».
On pourrait objecter : n'est-ce pas une pieuse illusion que cette tranquillité du
temple extérieur et intérieur évoquée par cette interprétation de la fête ? N'est-ce pas
une fuite devant/pour les bruits du monde qui sont parfois bien menaçants ? Pas
forcément ! La vision du Dieu Saint – pensons au prophète Isaïe, au chapitre 6 – si
elle est contemplation du mystère de la sagesse de Dieu – son dessein de salut – elle
est du coup aussi envoi en mission, au moins dans le zèle pour le Royaume de Dieu
et son avènement dans le monde. La consécration baptismale ou encore le sacerdoce
commun des baptisés contient en germe l'offrande de nous-mêmes au Seigneur dans
toutes les circonstances de notre vie, selon les paroles de saint Paul : Je vous exhorte
(donc), frères, par la miséricorde de Dieu, à offrir vos personnes en hostie vivante,
sainte, agréable à Dieu : c'est là le culte spirituel que vous avez à rendre (Rm 12, 1).

La force pour tenir dans l'épreuve de la Croix et y persévérer dans l'espérance de la
Résurrection vient de cette écoute dans les profondeurs où nous sommes enracinés
en Dieu et c'est la certitude de la fidélité du Dieu de l'Alliance. Le Temple en est le
signe et c'est le Corps du Christ dont nous sommes les membres. Nous sommes un
Temple de Dieu (cf. 1 Co 3, 16). Aux Ephésiens, saint Paul dit : vous êtes intégrés à
la construction pour devenir une demeure de Dieu, dans l'Esprit (2,22). On peut
détruire le et les temples de pierre, on peut tuer les corps, mais le Christ est
ressuscité et nous ressuscitera. La demeure de Dieu avec les hommes est pour
toujours ouverte pour accueillir ceux qui se laissent attirer par la lumière du Christ.
Que sa sainte Mère nous obtienne de vaincre la peur par l'espérance de la gloire.
Amen.