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Toussaint 2023

Heureux les pauvres, les doux, les artisans de paix, les affamés et assoiffés de
justice, … Dans ce monde de turbulences où les hommes et les éléments
semblent se déchaîner, les béatitudes, que Jésus proclame au tout début de son
ministère et que nous venons d’entendre une nouvelle fois, résonnent d’une
façon toute particulière. Un cri d’appel ! Un cri d’urgence ! Hommes, femmes et
enfants sont violentés, la nature est violentée, et c’est le cœur meurtri que nous
assistons impuissants à ce déferlement de violence. Certes, conflits armés et
catastrophes naturelles ont toujours existé, mais la globalisation nous les rend
désormais présents de façon instantanée, simultanée et continuelle, et force est
de constater qu’il n’est pas d’endroit du monde qui soit épargné. Le drame est
planétaire, ce qui d’une certaine façon nous rapproche de cette « foule immense,
que nul ne pouvait dénombrer, une foule de toutes nations, tribus, peuples et
langues » (Ap 7, 9) entrevue par l’auteur de l’Apocalypse. Partout, ces valeurs
chrétiennes, ces valeurs humaines que sont la justice et la paix, et plus largement
le droit à une vie et à une mort dignes, sont bafoués. La possession pacifique de
la terre se révèle difficile, voire impossible, entre voisins, et là aussi force est de
constater que les doux sont loin de posséder cette terre qui leur est pourtant
promise (Mt 5, 4).
Que le découragement ne l’emporte pas ! Il y a aussi des actes de solidarité. Ne
nous laissons pas vaincre par un sentiment d’impuissance et ne baissons pas les
bras. Le Royaume de Dieu est là enfoui au cœur de la création comme une petite
graine appelée à grandir ou comme un levain destiné à faire lever toute la pâte.
C’est Jésus lui-même qui le dit (Lc 13, 18-21). Et là où nous sommes, nous
pouvons contribuer à sa croissance. C’est dans ce sens que Jésus enseigne les
béatitudes. Il y a là une mise en route. Elles nous sont une ligne de conduite à
tenir, à développer à l’imitation de Jésus qui, comme fils de Dieu, est le seul
juste. Autrement dit, il est celui en qui la justice, la paix, la miséricorde, la
douceur, la pureté de cœur existent en plénitude, et il nous invite à le suivre, à
l’imiter. Il est le « Saint de Dieu » que même les démons reconnaissent avec
effroi parce qu’il met leur pouvoir en péril (Mc 1, 24). Ne nous effrayons pas,
nous, mais laissons-nous toucher par son message d’amour et guérir de nos
peurs et de nos infirmités morales et spirituelles.
Dans le discours sur la montagne qui commence par les béatitudes et les
explicite, Jésus exhorte ses auditeurs à être parfaits comme Dieu, leur Père
céleste, est parfait (Mt 5, 48). Dans le récit parallèle de l’évangéliste Luc, c’est
le terme « miséricordieux » qui est employé (Lc 6, 36). Voilà qui nous ramène à

la béatitude « Heureux les miséricordieux, ils obtiendront miséricorde » (Mt 5,
7). De part et d’autre, cette exhortation de Jésus vient après le discours sur
l’amour des ennemis. Une révolution dans les cœurs et les esprits, un combat
toujours à reprendre, une conversion constante comme il peut en être aussi, par
ailleurs, pour un amour fraternel juste. Comment parler de la paix entre les
États, les communautés et les factions de tout genre quand notre propre cœur est
encore en proie à tant d’agitation. Le premier lieu à pacifier est notre propre
cœur. Comme le dit saint Séraphim de Sarov, « si tu gardes la paix du cœur,
beaucoup autour de toi trouveront la paix ». Là est l’attitude qu’il nous faut
d’abord adopter dans nos milieux de vie quels qu’ils soient.
« Heureux les artisans de paix, ils seront appelés fils de Dieu » (Mt 5, 9). Nous y
voilà, nous sommes tous enfants de Dieu en vertu d’un don immense qui nous a
été fait comme nous le dit l’apôtre saint Jean dans sa première lettre : « voyez
quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de
Dieu – et nous le sommes » (1 Jn 3, 1). Comme disciples de Jésus qui nous
révèle la paternité de Dieu, et donc comme enfants de Dieu, « héritiers de Dieu
et cohéritiers du Christ » selon les termes de saint Paul (Rm 8, 17), nous
sommes appelés à la sainteté parce que nous sommes appelés à lui être
semblables, « puisque – toujours selon saint Paul – nous souffrons avec lui pour
être aussi glorifiés avec lui » (Rm 8, 17). Telle est notre espérance ! Tel aussi
notre engagement dès à présent au rythme des béatitudes ! La sainteté est à ce
prix. Et la sainteté n’est pas pour demain, elle est pour aujourd’hui, ici et
maintenant !