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Noël, Messe de minuit

“Pendant que Marie et Joseph se trouvaient à Bethléem pour le recensement, le jour où Marie devait accoucher arriva; elle accoucha de son fils premier-né, l’emmaillota et le déposa dans une mangeoire, parce qu’il n’y avait pas de place pour eux dans la salle d’hôtes” (Lc 2, 6-7).
Jésus naît au hasard d’un voyage dans un abri misérable et il n’y a que des bergers, gens considérés comme des mal-croyants, pour accueillir ce descendant du glorieux roi David son ancêtre. “Il n’y avait pas de place pour eux”. Hasard, fatalité? Malentendu? Erreur?
Non pas! Ce malencontreux concours de circonstances était bien le choix de Dieu, pleinement assumé. Ou plutôt Dieu assumait l’imprévision et l’insouciance humaines pour les petits de ce monde. Le Fils de Dieu naît de Marie, bébé fragile, exposé à tous les dangers qui menacent une vie à peine né. Le cœur de Dieu a ses raisons que la raison humaine ne connaît pas.
Dieu, que nous autres chrétiens osent invoquer dans notre prière comme “Notre Père”, va jusqu’au bout de sa passion d’amour pour les hommes. Qui exposerait son fils de la sorte, sans garanties aucunes? “Il n’y a pas de place pour Jésus”. Il n’y en a que dans une étable, dans une mangeoire de bétail. Une toute petite place dans la marge. La tradition chrétienne depuis le IIe siècle a précisé que la mangeoire se trouvait dans une grotte, une caverne, à Bethléem. Signe  prophétique que le parcours terrestre du Fils de Dieu et de l’homme, qui finira lui aussi, nonobstant les miracles et la sagesse inouïe de son enseignement, en marge, Jésus suspendu sur la croix parmi deux criminels. “Jésus, pour sanctifier le peuple par son propre sang, a souffert en dehors de la porte” (de Jérusalem; Hbr 13, 12). Noël en cela découvre déjà la “manière” dont Dieu aime. Il se fait petit, prend une toute petite place, en marge. Il dérange à peine. “Voici que je me tiens à la porte et je frappe. Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui…” (Apc 3, 20). La porte de notre cœur s’ouvre de l’intérieur.
Revenons à la crèche et à la grotte de Bethléem. C’est là que le Dieu de tendresse infinie a trouvé une toute petite place dans notre monde. Un grand philosophe de l’Antiquité païenne grecque, Platon, a comparé l’existence humaine à une vie dans une grotte, ou dans une caverne. Elle ne reçoit que de vagues reflets de la lumière de la vérité. Comment en sortir? Comment rejoindre la lumière?
Saint Jean dans son évangile répond: “En lui était la vie, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise” (Jn 1, 4-5). La lumière, en la nuit de Noël, se met à briller dans la grotte, dans la caverne de ce monde. Point n’est besoin de sortir de cette grotte. Il faut y entrer. C’est là que Dieu a trouvé une place, si discrète il est vrai qu’il a fallu des anges pour nous le signaler. Hâtons-nous d’y aller avec les bergers.
Dan chaque être humain il y a une grotte, celle du cœur profond. Au fond de cette grotte la lumière de Jésus pénètre, si nous y faisons une petite place par la foi, pour y laisser naître la vie – la vie vraie et vivante, éternelle.
Le pape saint Grégoire le Grand raconte que Saint Benoît a commencé sa vie monastique par une retraite de trois ans dans une grotte étroite, celle de Subiaco. C’est là que l’homme nouveau, conçu dans le baptême, est devenu lumière, celle de l’Esprit Saint qui brille sur le visage de Jésus ressuscité (cf. Ps 4, 7). “Revenir à son cœur “ (reditus ad cor) dit le même pape Grégoire.
Y a-t-il une place pour Jésus dans la grotte de notre cœur? Ne craignons pas de descendre dans ce fond angoissant de nous-même. Depuis notre baptême un enfant y est né, Jésus, le Fils de Dieu et de l’homme. Il y brille dans les ténèbres si nous lui laissons la place. Il est notre pain eucharistique déposé dans la mangeoire. Ce pain et ce vin deviennent notre nourriture de pèlerin dans notre marche vers la lumière infinie de l’amour du Père. Et déjà nous pouvons entendre dans la grotte de notre cœur, comme dans nos églises, le chant des anges. “Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés” (Lc 2, 14). Amen.