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Nuit de Pâques 2023

On pourrait être surpris du choix de l’évangile de cette Divine Liturgie. En fait, ce texte explique parfaitement – dans le style du 4e évangile, c’est-à-dire d’une manière très profonde – qui est Jésus-Christ et qui Il est pour nous, et en particulier ce que signifie sa Résurrection que nous célébrons aujourd’hui.

Qui est Jésus-Christ ? Il est le « Verbe » de Dieu, ainsi qu’on le traduit ordinairement en français, c’est-à-dire la « Parole » que Dieu adresse à sa création, ce qu’il veut lui transmettre. Et la parole de Dieu est toujours vraie et efficace, mais en même temps elle ne peut être qu’à la manière de Dieu, c’est-à-dire dans le plus total respect de ses créatures. Le Verbe était Dieu, c’est-à-dire que cette Parole que Dieu nous dit fait partie de Dieu lui-même, Il se communique lui-même en s’adressant à nous, Il se donne à ses créatures mais, précisément parce qu’Il est Dieu, toujours en respectant parfaitement notre liberté : cette Parole de Dieu, la créature peut l’accepter ou refuser de l’entendre. Cette Parole est la vraie lumière, elle brille dans les ténèbres  = elle nous éclaire, elle nous montre le chemin du salut, mais seulement dans la mesure où nous le voulons bien – et de fait cet évangile nous dit que le monde ne l’a pas reconnu et  les siens ne l’ont pas reçu. Car Dieu ne s’impose jamais. Mais en même temps, cette lumière les ténèbres ne l’ont pas contenue, dans le sens où elles n’ont pas pu le réprimer, le maîtriser : certes, Jésus a été mis à mort, mais cette mort n’est pas le mot de la fin, car Il est ressuscité d’entre les morts. Ressuscité, qu’est-ce à dire ? Il ne s’agit en rien d’une « réincarnation » : Jésus ressuscité est, d’une part, bien exactement la même personne qui a vécu sur terre et qui a été mis en croix, comme l’attestent les apparitions dont nous entendrons le récit les jours prochains, mais en même temps Il n’est plus du tout soumis aux limites de la « chair », puisqu’Il entre et sort toutes portes fermées, Il est partout. Pour le dire en un mot, Il est entré dans la Vie – et ici je mets une majuscule au mot « vie », car il s’agit de la vie même de Dieu, celle que Jésus est venu nous transmettre, celle que, dans notre pauvre vocabulaire humain, nous appelons « la vie éternelle », mais qui en fait est tout simplement étrangère aux limites de la création, qu’il s’agisse de l’espace ou du temps. Cette Vie de Dieu, elle est identique à sa gloire : quand l’évangile dit que nous avons vu sa gloire, il nous fait comprendre que la Vie divine s’est manifestée en plénitude dans la personne de Jésus-Christ, le Fils unique dont nous avons vu la gloire, et qui est plein de grâce et de vérité. Mais faisons bien attention que la gloire de Dieu ne se limite pas à la Résurrection de Jésus : la gloire de Dieu s’est manifestée dans toute la vie terrestre de Jésus, depuis le moment où le Verbe s’est fait chair jusqu’au moment où Il est monté au ciel pour s’asseoir à la droite du Père. La gloire de Dieu, ce n’est pas d’être plus fort que la mort (quoique, bien sûr, cela en soit un effet qui nous frappe particulièrement), mais c’est d’être en communion totale et parfaite avec le Père. Quand Jésus, lors de la prière sacerdotale (Jn 17,21) dit qu’Il est « un » avec le Père, qu’Il « est dans le Père et que le Père est en lui », cela signifie bien que la Vie divine est dans cette communion parfaite d’amour, car Dieu est amour (1 Jn 4,8.16). Quand S. Paul dit que le Christ s’est fait obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix, nous ne devons pas comprendre cette « obéissance » comme la soumission d’un militaire aux ordres de son supérieur, mais que Jésus est dans une communion absolue avec le Père, de sorte qu’Il peut non seulement dire Père, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux (Mt 23,39), mais qu’Il adhère totalement et de tout lui-même à la volonté du Père, car Jésus est totalement cohérent, Il est la vérité même. Sa « gloire », c’est ce lien absolu d’amour et de confiance sans limite entre le Père et le Fils, un lien qu’Il est venu nous transmettre, dans la mesure où nous-même nous l’acceptons librement : de sa plénitude nous avons tout reçu, et grâce sur grâce. Ce lien absolu d’amour que Jésus nous a transmis, c’est le pouvoir de devenir enfants de Dieu – autrement dit d’entrer à notre tour dans la Vie divine, de devenir à notre tout des êtres qui vivent d’amour comme Dieu. Et ce n’est pas pour rien qu’Il nous a invités à dire Notre Père, comme Il le faisait lui-même ! Mais attention : être enfants de Dieu, ce n’est pas seulement un privilège, c’est une vérité qui comporte elle-même ses obligations. Être enfant de Dieu, vivre en enfant de Dieu, cela suppose que nous ayons la volonté de vivre l’amour au sens où Dieu lui-même le vit et l’entend, c’est-à-dire d’adhérer totalement à la volonté du Père, d’être prêts à donner notre vie par amour pour Dieu et pour le prochain, à suivre Jésus jusqu’à la croix s’il le faut. C’est alors que nous ressusciterons avec Lui, non pas d’une résurrection terrestre, passagère comme celle de Lazare (Jn 11), et encore moins d’une réincarnation comme certains ne le comprennent que trop souvent aujourd’hui, mais d’une entrée définitive dans la Vie de Dieu. Comme l’a dit une fois de plus l’évangile de cette nuit, ce n’est plus du sang, d’un vouloir de chair ou d’un vouloir d’homme qu’il s’agit de naître, mais de Dieu. Tout comme le Verbe de Dieu s’est fait chair, nous sommes tous « chair » et nous vivons la vie terrestre, mais cette vie terrestre ne prend son vrai sens que si nous suivons Jésus dans sa mort, pour avoir nous aussi part à sa Résurrection (cf. Rom 6,5 ; Phil 3,10s). Certes, cela passe par la croix – et c’est là le mystère essentiel de la Révélation de Jésus Christ, que nous célébrons en ces jours saints. Pour suivre Jésus et « entrer dans la Vie », dès maintenant et ici-bas, il faut faire comme Lui, renoncer à une manière de voir toute terrestre, à la satisfaction de son « moi », en vue d’entrer dans une vie d’amour oblatif, de don de soi sans limite par amour pour Dieu et le prochain, dans une vie où l’on peut dire avec saint Paul : pour moi, vivre, c’est le Christ (Phil 1,20). En ces jours, nous avons suivi liturgiquement Jésus dans sa Passion, nous célébrons à présent sa Résurrection. Suivons-Le désormais dans le concret de notre vie pour pouvoir proclamer en toute vérité et avec une joie autentique : Le Christ est ressuscité !