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Toussaint 2021

« Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres ... » (Ap 7, 3). On croirait entendre le cri de tant d’hommes et de femmes de notre temps. À l’heure où commence la COP 26, alors que l’inquiétude pour le climat et le sort de la planète va grandissant, que les mises en garde se multiplient et que les Églises s’impliquent toujours davantage pour une écologie intégrale, qu’il soit permis, en cette fête de la Toussaint, d’accorder attention à la création dont Dieu nous a établis rois et gardiens. Il s’y reflète autant d’aspects de la beauté de Dieu que sur le visage des saints que nous célébrons aujourd’hui, foule immense que nul ne peut dénombrer (cfr Ap 7, 9). Ayons donc le souci de notre « maison commune », comme l’appelle le pape François, et que ce soit là aussi une expression de la communion des saints.

Source de connaissance de Dieu et d’émerveillement, la création tout entière est participante de notre louange, ainsi que le chante déjà le psalmiste : « Joie au ciel ! exulte la terre ! Que gronde la mer, et sa plénitude ! Qu’exulte la campagne, et tout son fruit, que tous les arbres des forêts crient de joie, à la face du Seigneur car il vient, car il vient pour juger la terre ; il jugera le monde avec justice et les peuples en vérité » (Ps 95, 11-13). La création est participante de notre louange parce qu’elle est participante de notre vie.

Le temps manque pour parcourir ici tout ce qu’en dit l’Écriture Sainte. Qu’il suffise de se rappeler les six jours de la création au tout début du bien nommé livre de la Genèse. Voyons aussi comment Jésus s’exprime au rythme des saisons, au bord du lac de Galilée ou dans la montagne, comment il s’émerveille de la parure des lys des champs, tire des leçons de la nature, et donne un grain de sénevé comme exemple de l’expansion du Royaume des cieux. Et que d’éléments naturels n’entrent-ils pas dans notre relation avec Dieu, qu’il s’agisse pour lui de se manifester dans l’orage ou dans une brise légère, ou d’en faire le signe de son alliance avec l’humanité comme l’arc-en-ciel ou encore ce pain et ce vin, fruit de la terre et du travail des hommes, qui, par la puissance de l’Esprit Saint, deviennent le Corps et le Sang du Seigneur Jésus donnés pour le salut de tous. Et c’est encore Jésus qui nous le dit : « Si le grain ne meurt, il reste seul ». Il y a là une explosion de vie, un don de la vie en surabondance.

Saint Paul n’hésite pas à comparer les gémissements de la création en travail et ceux de l’homme en attente, l’un et l’autre engagés dans un même processus de croissance spirituelle : naissance de l’homme nouveau, de la terre nouvelle, d’un ciel nouveau. Et saint Ambroise, parlant de la résurrection du Christ, gage de notre propre résurrection, précise : « En lui, le cosmos est ressuscité, en lui le ciel est ressuscité, en lui la terre est ressuscitée ; car il y aura un ciel nouveau et une terre nouvelle (Ap 21, 1) »

Création et rédemption vont de pair. « Ne faites pas de mal à la terre, ni à la mer, ni aux arbres, avant que nous ayons marqué du sceau le front des serviteurs de notre Dieu. » (Ap 7, 3) Tel est le cri de l’ange entendu par saint Jean dans sa vision grandiose de la liturgie céleste et de la fin des temps, accomplissement et manifestation du destin final de l’humanité et de la création tout entière. C’est comme si l’homme ne pouvait être sauvé seul, sans la création, et vice-versa. Célébrons donc cette fête de tous les saints dans une perspective de régénération générale de la création entière.

C’est bien de rédemption qu’il s’agit puisque le salut donné à l’homme le rétablit dans sa relation avec Dieu, avec l’humanité et avec l’univers, relation que le péché, cette soif de pouvoir et de domination, est venu briser. Il y a là une harmonie à retrouver, et pour la retrouver, un chemin de conversion à emprunter. Les béatitudes, que Jésus proclame au tout début de son ministère, sont ce chemin de conversion. La perspective inversée qu’elles proposent laisse pressentir un renversement total des valeurs qui privilégie les pauvres, les doux, les affamés et assoiffés de justice, les miséricordieux, les cœurs purs, les artisans de paix, ceux qui pleurent et ceux qui sont persécutés pour la justice … Dans notre retournement vers Dieu, - c’est bien le sens de la conversion, - les béatitudes nous invitent à porter un autre regard sur nous-mêmes et sur la création dont nous sommes tous responsables à des degrés divers, et à passer à l’action. La conversion n’est pas affaire de paroles, elle est passage à l’acte.   

Ne défigurons pas cet univers qui, tout comme nous, est destiné à être sanctifié, transfiguré. Laissons-le chanter, avec nous et tous les saints, la gloire de Dieu, et s’acheminer vers cette Jérusalem céleste d’où coule le fleuve de Vie.