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Dimanche après l’Exaltation de la Croix 2021

"Suivre Jésus et prendre sa croix" (Gal 2,16-20 ; Mc 8, 34-38 & 9,1)

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Frères et sœurs,

Au cours de cette semaine, nous avons célébré solen­nellement l’Exaltation de la Sainte Croix, une fête joyeuse, qui met l’accent sur la victoire du Christ sur la mort et les forces du mal. Et nous avons chanté :

Croix, tu gardes et protèges tout l’univers,

Croix, tu es le charme et la beauté de l’Eglise,

Croix, tu es la force et la puissance des rois,

Croix, tu soutiens la vigueur de notre foi,

Croix, tu es la gloire des anges

et la blessure des démons[1].

Aujourd’hui, en ce dimanche qui suit la fête, l’évan­gile veut nous faire comprendre davantage ce que signifie vraiment « la croix » dans la vie de chacun. Jésus est en chemin avec ses disciples. Il appelle la foule auprès d’eux et leur dit : « si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix, et (alors) qu’il me suive » (v. 34).

Juste avant, Jésus avait posé à ses disciples une question en peu dérangeante : qui suis-je au dire des gens ? et puis : qui suis-je vraiment pour vous-mêmes ? Pierre avait répondu en un seul mot : « Tu es le Christ ! ». Comprenait-il vraiment ce qu’il disait ? Et les autres disciples, comprenaient-ils ? En tout cas, Jésus leur interdit sévèrement d’en parler en public. Puis il leur annonce pour la première fois, qu’il devra beaucoup souffrir, qu’il sera mis à mort, mais que trois jours après il ressuscitera. Ici, Pierre proteste, mais Jésus le réprimande en disant : « retire-toi ! derrière moi, Satan ! tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes ! ».

Le « Christ », que Pierre venait d’identifier en Jésus, doit accepter librement sa croix : accepter persécutions et souffrances, infligées par les autres, pour les autres ; accepter d’être mis à mort même, injustement, par les autres, pour les autres. Le chrétien, qui veut suivre Jésus, doit l’accep­ter, lui aussi, dans sa propre vie. Suivre Jésus, prendre sa croix, donner sa vie, son âme, ce qu’on a de plus précieux (plus précieux que le monde entier, dit Jésus), pour la sauver, et sauver le monde entier…

Jésus avait commencé sa prédication par ces mots : « les temps sont accomplis, le Règne de Dieu s’est approché, convertissez-vous » (1,14-15). La « meta­noïa », la conversion, signifiait un changement de regard sur soi-même et sur le monde, un changement de « mentalité ». C’est à cela qu’il appelle – sans qu’ils s’en rendent compte peut-être tout de suite – les premiers disciples (Pierre, André, Jacques, Jean, et les autres) quand il leur demande de « venir à sa suite », de le suivre. Jésus a besoin de disciples – il a besoin de nous – pour réaliser son œuvre, pour opérer le salut du monde. Car l’avènement de ce « Royaume de Dieu », dont il parle, nous concerne, nous implique. Ce Royaume s’est approché, ici et maintenant, parmi nous, grâce à nous, grâce à ce changement de regard, cette conversion.

Au départ, tout semble aller de soi. Jésus guérit les malades et chasse les démons. Il envoie ses disciples en mission pour faire la même chose. Des femmes le suivent aussi. Il appelle ceux qui font la volonté de Dieu « son frère, sa sœur, sa mère » (3,34-35).

Mais étrangement, plus le temps passe, moins les disciples le comprennent, plus ce Jésus devient un mystère. Il doit leur expliquer, à part, ses paroles, ses paraboles, ses actes. Il doit leur expliquer ce que c’est que ce changement de regard qui fait apparaître le « Royaume de Dieu » parmi nous. Ne peuvent y entrer que ceux qui l’accueillent « en petit enfant » (Mc 10,15), comme le dernier en bas de l’échelle sociale. Il ne suffit pas de connaître et d’observer la loi, comme le jeune homme riche ; non, il faut donner ses richesses aux pauvres, perdre ses sécurités pour avoir un trésor dans le ciel. Il faut suivre Jésus dépouillé de tout (Mc 10,17-31). L’homme n’y arrivera pas tout seul, prévient-il, mais avec Dieu, car « pour Dieu tout est possible ». Et quand les disciples pensent encore pouvoir se disputer les premières places, les places d’honneur, dans ce Royaume, Jésus leur dit que les premiers seront les derniers, et qu’il faut y servir, au lieu de vouloir y être servi, servir jusqu’à donner sa vie (cf. 8,34-37 ; 9,35 ; 10,42-45). Se convertir, c’est ne plus se placer soi-même au centre, mais tout regarder à partir de Dieu, qui est don total de soi-même, don de vie en permanence.

Cette conversion du disciple de Jésus, ce changement de regard (métanoïa) sur le monde, ce renversement de valeurs, n’ira pas sans souffrances. Ce sont les « douleurs de l’enfante­ment » dont parle Jésus dans l’évangile de saint Jean (Jn 16,21). Ce sont des souffrances librement assumées, que Dieu permet pour une vie plus riche, une vie en Christ, en communion avec Lui et avec les autres. Le Maître de la vie n’est pas moins présent, auprès de nous, dans la souffrance et la mort, que dans les moments de joie. La vraie liberté et la vraie joie dans le Royaume de Dieu est de donner sa vie pour l’autre. Et c’est ce que Dieu fait depuis les origines, pour nous et avec nous.

C’est ce qui a fait dire à saint Paul, dans l’épître aux Galates que nous avons également entendue ce matin : « Avec le Christ, je suis un crucifié : je vis, mais ce n’est plus moi, c’est le Christ qui vit en moi (…) car il m’a aimé et s’est livré pour moi » (Gal 2,20). La vie chrétienne, pour saint Paul, n’est pas l’ob­ser­vance d’une loi, elle est communion avec quelqu’un, foi et confiance en quelqu’un, Jésus Christ, une personne à aimer, une personne qui nous aime, qui a donné sa vie pour nous et qui vit en nous. C’est à nous de le suivre, librement, chacun en acceptant sa propre croix pour le salut du monde. Personne n’est seul. Lui est avec nous tous. Amen.

 

[1] Exapostilaire (svetilen) de la fête.