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Funérailles P. Jacques Engels

Funérailles P. Jacques Engels

« Lève-toi, ô Dieu, juge la terre, car tu domines sur toutes les nations ! » Ce chant de victoire qui laisse entrevoir les premières lueurs de la Résurrection à la liturgie vespérale du Samedi Saint, que de fois le Père Jacques ne l’a-t-il pas entonné avec autant d’enthousiasme que de conviction. Et avouons-le : que de fois n’avons-nous pas attendu, réjouis, le moment où il l’entonnerait en traversant l’église avec fougue, répandant des feuilles de lauriers en signe de victoire sur la mort et aspergeant de parfum l’assemblée, corps du Christ enseveli dans l’attente de la résurrection. Le Père Jacques était, - et sans doute l’est-il désormais plus que jamais, - le Père Jacques était un être liturgique. Il aimait célébrer, comme il aimait lire et commenter l’Écriture Sainte. Et la liturgie de Chevetogne, tant latine que byzantine, en garde quelques traces, ne serait-ce que le synaxaire que nous lisons chaque jour. Le Père Jacques était bien dans l’esprit, « dans les idées », des premiers Pères d’Amay-Chevetogne. Déjà comme étudiant à Saint-Anselme, il suggérait des initiatives liturgiques audacieuses pour l’époque. Nous étions à la fin des années 50 du siècle dernier. Mais n’anticipons pas.

Léo Engels est né à Amsterdam, le 26 février 1931, d’un père hollandais et d’une mère d’origine suédoise qui est morte quand il n’avait encore que 4 ans. Cette mère trop tôt disparue a laissé chez le Père Jacques une blessure jamais refermée, malgré la gentillesse de la seconde épouse de son père, envers qui il témoigna, comme à son père, d’une véritable piété filiale jusque dans leurs vieux jours. Et après leur mort aussi, car le Père Jacques avait un sens aigu du devoir de mémoire.

Arrivé à Chevetogne à l’automne 1952, Léo Engels y entra au noviciat le 16 janvier 1953 et y reçut le nom de Jacques. Il y fit profession un an plus tard, le 2 février 1954, puis partit aux études à Saint-Anselme, l’occasion pour lui de découvrir in situ la liturgie stationnale de Rome que lui avait déjà fait connaître le missel. Rentré à Chevetogne, il fut ordonné prêtre, avec son confrère et compatriote Philippe Baer, futur évêque de Rotterdam, en la cathédrale de Namur, le 26 juillet 1959. Soit dit passant, le Père Jacques et Mgr Philippe furent bons amis toute leur vie, bien que d’un caractère totalement différent. Ils avaient l’un sur l’autre cet humour si nécessaire en communauté.

Après avoir été cérémoniaire et sacristain latin pendant un an, le Père Jacques est envoyé comme économe au Collège Grec de Rome, en 1962. Il y restera onze ans, laissant un bon souvenir à ceux qui l’y ont connu. C’est au cours de ces années qu’il s’intéressera, à la demande de l’évêque de Reggio Calabria, à la communauté d’origine byzantine de Bova, à laquelle il s’efforcera, pendant cinquante ans, de faire redécouvrir ses racines et sa spiritualité orientale. Il y nouera des amitiés qui perdurent jusqu’à ce jour. La citoyenneté d’honneur de la ville de Bova et un canonicat honoraire dans le Chapitre métropolitain de Reggio Calabria viendront récompenser, en 2019, son dévouement sans mesure. Depuis l’annonce de sa mort, nombreux sont les témoignages d’affection et de reconnaissance qui arrivent de Calabre, cette Calabre si chère à son cœur et dont il nous a entretenu jusqu’au dernier instant.

À son retour à Chevetogne en 1973, le Père Jacques s’est vu chargé de la direction de l’iconographie, puis de l’économat et du majordomat. C’est à ce titre de cellérier qu’il travailla inlassablement à la construction de l’église latine et de la nouvelle bibliothèque. Il faut dire que toute sa vie, le Père Jacques, ayant un goût prononcé pour l’archéologie, l’art et l’histoire, a taquiné l’architecture, multipliant plans et croquis. Il se retrouvait donc là dans son élément.

Simultanément ou ultérieurement, il a aussi rempli les charges de secrétaire de la Société anonyme, de linger, d’hôtelier, de sous-prieur et de directeur des oblats, plusieurs d’entre eux s’en souviennent.

Homme aux multiples entreprises, le Père Jacques était, si j’ose dire, tout en contrastes : d’une attention et d’une prévenance exquises, et pouvant décocher des remarques cinglantes, notamment à l’égard des supérieurs quel que soit leur rang hiérarchique (j’avoue n’avoir jamais eu à en souffrir) ; homme des grandes entreprises et des détails infimes ; pouvant somnoler à peine assis à une réunion ou à une conférence et parcourant la maison en tous sens de la cave au grenier, comme s’il avait un don de bilocation ; célébrant avec la plus grande dignité et poignant à pleines mains dans les tâches les plus rebutantes. Le Père Jacques était de toutes les situations, ne manquant jamais d’idées et de projets.

Ascétique et tenace, le Père Jacques a manifesté, et ce jusqu’à la fin malgré des problèmes de santé, un zèle indéfectible pour l’office divin ainsi que pour la prière personnelle et la lectio divina. Ces dernières années, le Père Jacques, que l’on avait toujours connu si droit, s’était petit à petit courbé, littéralement plié en deux, suite à des problèmes de dos, ce qui le faisait souffrir. Il n’en restait pas moins toujours occupé, et c’est sans doute ce qui lui fut le plus dur, ces dernières semaines à l’hôpital : être alité et condamné à l’inactivité. Cela a peut-être contribué à ce qu’il se dessaisisse davantage de lui-même, s’abandonnant totalement à la volonté de Dieu, lui rendant grâce d’avoir pu Le servir si longtemps, et nous confiant, lors d’une dernière visite : « Le Seigneur ne me délaisse pas, Il me permet encore de prier ». C’est en se recommandant à notre prière et en nous assurant de la sienne qu’il a paisiblement passé de ce monde au Père.