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Dimanche après l’Epiphanie

Le Règne est inauguré

Eph. 4,7-13 – Mt 4,12-17

 

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Frères et sœurs,

En ce dimanche qui suit immédiatement la fête de l’Épiphanie et du baptême de Jésus dans le Jourdain, nous avons entendu dans l’évangile le commen­cement de la prédication de Jésus en Galilée. Après son baptême (Mt 3, 13-17) et les tentations dans le désert (Mt 4, 1-11), Jésus apprend que saint Jean-Baptiste est arrêté. A cette nouvelle, nous dit l’évangile de Matthieu, « il se retire en Galilée », d’abord à Nazareth (chez ses parents, Marie et Joseph), puis à Capharnaüm, une petite ville de pêcheurs, de douane et de garnison romaine au nord du Lac de Tibériade, ville dont le nom hébreux (kfar Nahum) était sans doute encore compris par ses habitants et des premiers chrétiens : ville de Nahum, c’est à dire : ville de consolation, ville du Consolateur…

Et non seulement ! Saint Matthieu nous rappelle que Capharnaüm se trouve « dans les territoires de Zabulon et de Nephtali ». Zabulon et Nephtali était deux des douze fils de Jacob, qui ont donné leur nom à deux tribus du peuple d’Israël qui s’étaient installées dans ces régions frontalières, au nord de la Terre promise. Une région qui avait été annexée par les Assyriens au 8e siècle avant Jésus Christ (734-732) et dont les habitants avaient connu la déportation. Or, le prophète Isaïe avait annoncé à ce peuple mixte de juifs et de païens, ce peuple « qui marchait dans les ténèbres … et habitait à l’ombre de la mort », la levée d’une grande lumière. Avec l’arrivée de Jésus à Capharnaüm, cette « ville du Consolateur », cette prophétie se réalise enfin, une lumière de consolation s’est enfin levée.

Saint Mathieu dit que Jésus « s’y retire » (ane­chôrisen, d’où le mot anachorète, ermite). Chaque fois que l’évangéliste emploie ce mot, il s’agit d’une fuite devant un danger : les mages « se retirent » dans leur pays au lieu de retourner chez Hérode, la sainte famille – Joseph, Marie et l’enfant Jésus – « se retire » en Egypte devant le massacre des enfants, puis en revenant, ils « se retirent » à Nazareth. Ailleurs dans l’évangile, Jésus « se retire » devant la menace des Pharisiens. Ici, Jésus « se retire » aussi, mais cette « retraite » est différente. Il se plonge comme une lumière dans les ténèbres, pour éclairer la « Galilée des nations ». Cette retraite fait partie de son extrême « abaissement » (en grec : kénôsis) et de son incarnation : il se plonge dans l’humanité pour la sortir des ténèbres. Comme le Bon Berger, il va lui-même à la recherche de la brebis perdue.

« A partir de ce moment – nous dit l’évangéliste Matthieu – Jésus commença à proclamer : convertissez-vous ! le Règne des cieux s’est approché » (Mt 4,17). Remarquons, que cette première phrase de Jésus est la même que celle déjà proclamée par saint Jean Baptiste au bord du Jourdain (Mt 3,2). C’est le même message encore que les disciples doivent annoncer quand ils seront envoyés en mission (Mt 10,7). Le Règne de Dieu s’est approché, ou : il vient d’arriver, il est tout proche (êggiken) !

L’arrivée du « Règne » est donc au centre de la prédication de Jésus. Et lui est au centre du Règne, sans vouloir être le roi d’un royaume. Le Règne de Dieu est annoncé en paroles et expliqué en paraboles, mais il est surtout manifesté par des actes. Jésus le manifeste par des miracles, par son comportement à l’égard des pauvres, des malades, des possédés. Les miracles sont des signes que le Règne de Dieu est arrivé et ils en donnent, en même temps, la signification : Satan et ses démons (personnifications du mal, du péché et de la mort) ont perdu leur pouvoir sur ce monde. Leur pouvoir est en train de se désintégrer, de tomber en ruine, au fur et à mesure que le Règne de Dieu croît et grandit.

Jésus est le seul à nous faire comprendre de quoi il s’agit. Il le révèle aux humbles et aux petits, à ses disciples, ceux qui vivent avec lui et sont à l’écoute de sa parole. Il dit que le Règne est comme une semence jetée en terre, comme le levain dans la pâte. Il n’est pas visible ou manifeste aux yeux de tous. Il faut prier pour qu’il vienne (ce que nous faisons dans le Notre Père !). Car il est déjà là mais il faut qu’il grandisse. Nous en sommes les témoins. Personne ne peut « l’acheter » comme le ferait un « nouveau riche », car c’est un don gratuit (une grâce), et pourtant, paradoxalement, nous devons tout abandonner, tout laisser, tout donner pour l’acquérir. Nous devons y mettre le poids de toute notre vie, nous y engager totalement, sans rien garder pour nous-mêmes. Car tout ce que nous gardons ici pour nous-mêmes, nous rend aveugle, nous empêche de voir, nous encombre, nous fait trébucher et tomber, nous empêche d’avancer sur la route. Tout est grâce : nous devons recevoir ce Règne, entrer dans ce Royaume, comme des enfants reçoivent tout de leurs parents. Ils ne peuvent rien donner en échange, si ce n’est que leur reconnaissance, leur gratitude, leur amour filial.

C’est ce que dit encore saint Paul, dans l’Epître aux Ephésiens, dont nous avons également entendu un extrait ce matin : « A chacun de nous, la grâce a été donnée selon la mesure du don du Christ », c’est-à-dire chacun selon l’appel et les charismes qu’il a reçus, mais c’est « pour que nous parvenions tous ensemble à l’unité de la foi et dans la connaissance du Fils de Dieu, à l’état d’adultes, à la taille du Christ dans sa plénitude » (Eph 4,13). L’image du Règne de Dieu, que nous avons rencontré dans l’évangile, est pareil à celui du Corps du Christ chez saint Paul : dans ce corps nous grandirons tous ensemble, petit à petit, et chacun à sa manière. C’est ainsi que le Corps du Christ – ou le Règne de Dieu – « réalise sa propre croissance pour se construire lui-même dans l’amour » (Eph 4,16).

Demandons cette grâce et invoquons le Père, dans le Christ, pour que son Règne arrive et que nous puissions grandir dans l’amour du Christ. Amen.