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Nuit de Pâques 2018

Le Christ est ressuscité!

« Elle est vraiment sainte et solennelle
cette nuit salvatrice et lumineuse,
messagère du jour radieux de la Résurrection ;
en elle la Lumière éternelle ,
sortant corporellement du tombeau,
a brillé sur tous » (Canon, 7e ode)

Notre assemblée en cette nuit « sainte et solennelle » est un symbole de ce que nous sommes, de ce que nous croyons et de ce que nous espérons. La nuit, l’obscurité, le noir, l’angoisse, la solitude, le désespoir, la mort, la peur – toutes ces choses ne sont-elles pas des aspects existentiels et incontournables de notre vie ? La nuit n’est-elle pas toute présente en nous et même, si souvent, parmi nous ? Les racines des ténèbres ne pénètrent-elles pas notre cœur et nos entrailles, telle la sentence irrévocable qui condamne quelqu’un à la prison à vie ? Oui, la nuit – cette nuit comme toutes les nuits – est un miroir qui nous renvoie notre nuit existentielle : notre solitude, notre désespoir, notre non-transparence, notre angoisse et notre mort.

Et pourtant nous avons chanté que cette nuit, « sainte et solennelle », est « salvatrice et lumineuse ». Car « en elle la Lumière éternelle », le Verbe de Dieu par qui tout vint à l’existence, « a brillé sur tous ». La nuit profonde, miroir de la nuit de notre âme, de notre détresse et de nos pleures existentielles, est donc le décor de quelque chose d’autre, le véhicule de ce qui n’est pas nuit, peur, tristesse et mort…

Voyons-nous réellement cela dans cette nuit ? Devons-nous faire de grands efforts intellectuels, émotionnels ou pieux pour que la nuit – cette nuit – puisse miroiter réellement de la lumière, du soulagement, de la consolation, ne fut-ce qu’un tout petit peu, tel un grain de moutarde ? Mais si c’est la nuit elle-même qui nous renvoie ce ‘soupçon’ de lumière, de vie et de chaleur, elle ne peut le faire que justement en tant que miroir, en tant que reflet de ce qui déjà demeure au-dedans de nous. Pourtant, ne pensons pas que cette nuit aye des qualités magiques. Car quand toutes les lampes et toutes les bougies ont été éteintes, quand les chants et les prières ont cessé, autour de nous la nuit continue à régner, ce moquant de nos fêtes, de notre calendrier liturgique grégorien ou julien, de nos pieux sentiments et de nos constructions théologiques et intellectuelles. La seule chose qui restera est ce que la nuit aura miroité, le reflet de nous-mêmes. Car la nuit ne peut nous renvoyer que ce qu’elle perçoit – nous renvoyant, cependant, avec l’image de nous-mêmes, à notre capacité de voir. Oui, le miroir ne filtre pas ce qu’il reflet : c’est notre œil qui voit ce qu’il veut bien recevoir.  

Où serait-elle donc cette lumière que la nuit est censée nous renvoyer, que notre regard intérieur est invité à recevoir et à chérir en cette nuit « sainte et solennelle » ? Cette lumière-là n’appartient pas à la nuit mais à notre propre existence, celle-là même qui nous semble tellement sujet aux forces des ténèbres, de la peur et de la mort. Oui, au fond de la nuit de notre âme, de l’âme de chaque être humain, il y a toujours la lumière : non pas un rayon, non pas un reflet, mais une source de lumière et, donc, de rayonnement. C’est le noyau vivant de l’image de lui-même à laquelle nous a créé notre Créateur. L’être humain qui est dépourvu de cette lumière existentielle n’a pas de ressemblance avec Dieu.

Mais encore faut-il le reconnaître, le croire, le vouloir, l’espérer. Cette nuit est radieuse dans la mesure où nous croyons que la lumière demeure au-dedans de nous et que nous sommes appelés à le faire rayonner ; elle est salvatrice dans la mesure où nous croyons qu’au fond de notre mort il y a la vie, et donc transmission de vie ; elle est sainte et mystique dans la mesure où nous croyons qu’au fond de notre solitude il y a l’amour, et donc le mouvement vers l’autre : vers la lumière, la vie et l’amour qui demeurent dans l’autre.

Pendant le Carême et la Semaine Sainte que nous venons de parcourir, nous avons entendu beaucoup de textes des Saintes Écritures et des saints pères, qui ont pour seul but de nous renvoyer à nous-mêmes, de miroiter le reflet de nous-mêmes, tout comme cette nuit « sainte et solennelle ». Ainsi se reflète en nous Zachée qui suit le désir de son cœur ; le fils prodigue qui découvre la vérité du Père en se retournant en soi-même ; le dernier jugement et l’embarras des brebis et des boucs – embarras qui nous est épargné car nous avons été avertis… En nous se reflètent l’expulsion du Paradis, l’apparition de Dieu à Moïse, l’échelle de Jean Climaque et la conversion de Marie l’Égyptienne ainsi que le rayonnement de la lumière divine qui dans chaque épisode se manifeste – nous pour éclairer notre intelligence mais pour faire repartir notre propre lumière intérieure. En nous se dresse la Croix du Christ cherchant à s’abreuver à l’eau de notre propre source – celle de l’image de Dieu – pour porter feuillage et fruits et non pour être conservée dans notre cassette à reliques intérieure. En nous est enseveli Lazare que le Christ appelle à la résurrection. En nous le Christ se rend à Jérusalem, assis sur une ânesse – pourvu que les « hosanna » des enfants puissent l’emporter, en nous, sur les sombres murmures et le mécontentement politiquement correct des pharisiens ! En nous, dix vierges s’endorment en attendant la venue de l’époux : pourvu que l’élan de notre cœur nous aye fait prévoir une réserve d’huile… En nous Judas trahit le Christ, Pierre renie son maître, Jean perd celui qui l’aimait et Marie celui qu’elle a enfanté et dont elle gardait tout dans son cœur. Oui, en nous, le Christ est mort, enlevé de la croix, enseveli et enfermé dans un tombeau. En nous, la nuit de Dieu nous n’a pas été épargné : en nous, Dieu descend au plus profond des enfers.

Cependant, nous ne sommes pas des tombeaux de Dieu… Car ne sommes-nous pas capables de rayonner, de vivre et d’aimer ? Or, cela appartient à la vie de Dieu, à son image et ressemblance : c’est la marque du Verbe de Dieu qui luit dans les ténèbres et qui rend notre nuit – celle qui nous entoure et celle qui est au-dedans de nous – « sainte et solennelle, salvatrice et lumineuse ». Cette nuit, en vérité, est le reflet de notre âme, dans la mesure où, tel un miroir, elle nous renvoie le Verbe de Dieu.

Le Christ est ressuscité !