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Pâques 2017, Messe du jour

(Ac 10, 34a.37-43; Col 3, 1-4; Jn 20,1-9)

Il vit et il crut” (Jn 20,8) : c’est la foi qui ouvre les yeux de saint Jean et lui permet de “lire le signe” , tout comme ce même Jean saura reconnaître “c’est le Seigneur” au signe de la pêche miraculeuse (Jn 21,7). Comme Jésus le dira à Thomas : “Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu” (Jn 20,29), car les “signes” de Dieu ne s’imposent jamais, ils ne peuvent être lus qu’à travers la foi, c’est-à-dire un engagement personnel vis-à-vis de Dieu. Si Jean a su lire ces signes, c’est parce qu’il avait beaucoup fréquenté Jésus et médité sa parole, et ainsi nourri sa propre foi. Et la meilleure preuve que les signes de Dieu ne s’imposent jamais, c’est que, lorsque Jésus ressuscité apparaît aux apôtres et aux disciples sur la montagne, en Galilée, pour les envoyer en mission, au moment de remonter au ciel, “Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns doutèrent” (Mt 28,17). Même les disciples qui avaient suivi Jésus sur terre, qui avaient vu les miracles, qui l’avaient vu mort sur la croix et qui le voient vivant et occupé à leur parler, arrivent à douter!

Et, en effet, Dieu ne parle que par des “signes” qui, de soi, ne s’imposent jamais. Savoir lire les signes est le fondement même de l’Histoire sainte. Dieu a parlé à Israël par des signes : la sortie d’Égypte, le don de la Loi, la manne, le retour de l’exil, la reconstruction du Temple… mais aucun de ces signes n’a jamais privé les êtres humains de la liberté de refuser de reconnaître ce qui, pourtant, était une évidence pour quiconque avait la foi. Ce même peuple élu qui avait passé la Mer Rouge et qui était nourri de la manne et des cailles s’est fabriqué un veau d’or (Ex 15-16 et 32). “Ils mangèrent et burent à satiété, (Dieu) était entré dans leur désir; eux n’étaient pas encore revenus de leur désir, leur manger encore en bouche, que la colère de Dieu monta contre eux (…) Malgré tout ils péchèrent encore, ils n’eurent pas foi en ses merveilles” (Ps 77 [héb. 78], 29-32).

Dans l’évangile, “lire les signes” est capital: Jésus lui-même explique aux disciples d’Emmaüs (Lc 24,25-27), en ensuite aux Douze, que “il fallait que s’accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes”, et “il leur ouvrit l’intelligence pour comprendre les Écritures” (Lc 24,44-49). Dans le quatrième évangile, les signes sont présents, et devraient parler d’eux-mêmes, mais seul Jean comprend (Jn 20,8-9; 21,7), et c’est l’évangéliste lui-même qui en souligne l’importance (Jn 20,30-31 et 21,24-25).

Pourquoi des signes? parce que Dieu ne s’impose jamais. Les hommes réclamaient des signes visibles et violents, comme rétablir le Royaume d’Israël ou descendre de la Croix, mais ces signes-là n’auraient pas plus convaincu les incrédules que l’apparition sur la montagne de Galilée n’a convaincu les disciples hésitants (Mt 28,17). Car il ne s’agit pas d’un problème de physique, comme les hommes voudraient le faire croire, en prétendant qu’en descendant de la croix, ou en ressuscitant de manière manifeste, Jésus aurait prouvé qu’il était plus fort que les lois de la nature. C’est d’un problème de conversion intérieure qu’il est question, une conversion qui consiste à admettre que la puissance de Dieu s’exprime dans la faiblesse (2 Cor 12,9), parce que Dieu est amour (1 Jn 4,8), et que la puissance de l’amour est d’être toujours offerte, sans jamais pouvoir rien imposer.

Et c’est pour cela que c’est la foi qui permet de lire les signes, car la foi est une libre acceptation de Dieu tel qu’il est en réalité, et non pas tel que nous l’imaginions.

Dieu, qui aime infiniment sa création et ses créatures, ne peut pas ne pas respecter l’oeuvre de ses mains. Il respecte la création telle qu’elle est, car “Dieu vit que tout cela était très bon” (Gen 1,31). C’est pour cela que, malgré la Résurrection du Christ, les êtres humains continuent de mourir, qu’il y a des tremblements de terre et des tsunamis, car Dieu ne veut pas casser la vie naturelle de sa création, une vie naturelle qui répond à sa propre logique.

Mais Dieu respecte surtout ses créatures, et c’est pourquoi il y a des guerres suscitées par les hommes, c’est pourquoi des criminels font le mal en détruisant d’autres êtres humains ou en les exploitant à mort, en détruisant à leur seul profit la terre dont les autres vivent, ou en vendant de la drogue par appât du gain. La Résurrection n’a pas mis fin au mal sur la terre, parce que le mal réside dans le coeur de l’être humain, et que c’est la conversion de ce coeur-là, et rien d’autre, qui est le but ultime de l’Incarnation. Dieu n’est venu sur terre que pour changer le monde en toute liberté, en changeant le coeur de l’humanité. Et ce changement-là ne peut être que volontaire, car l’amour ne s’impose jamais.

Alors, Pâques est-elle un échec?

Oui, si l’on reste dans la logique humaine, celle qui aurait voulu voir Dieu s’imposer “à main forte et à bras étendu” (Dt 7,19), comme lors de la sortie d’Égypte, celle de ce salut terrestre et politique que tout Israël a attendu pendant des siècles et qui ne s’est jamais réalisé. Cette frustration qui fut celle des Juifs déçus de voir Jésus renoncer à la force pour changer le monde, c’est celle que nous-mêmes éprouvons tous les jours en voyant que le mal continue de régner sur la terre sous tant de formes. Mais si Dieu était entré dans cette logique-là, ce serait un Dieu à mesure humaine, un Dieu qui serait la projection de nos désirs et des nos rêves terrestres, un Dieu incapable de délivrer l’humanité du péché et du mal, sinon en commettant lui-même le mal, fût-ce sous le nom de “justice divine”. Ce serait un Dieu humain…

Mais Pâques n’est certes pas un échec si l’on entre dans la logique de Dieu, qui a trouvé d’abord dans le coeur de Marie une personne qui “écoute la Parole de Dieu et qui la garde” (Lc 11,28) — et c’est pourquoi elle, qui était au pied de la croix, n’a pas eu d’apparition racontée dans les évangiles, parce qu’elle a connu la Résurrection dans son coeur, grâce à son union totale et profonde à son Fils qui était aussi son Dieu.  Dieu a trouvé en Jean un disciple qui était tellement éveillé à la Parole qu’il a su lire le signe du tombeau vide (Jn 20,8) et reconnaître le Seigneur dans le signe de la pêche miraculeuse (Jn 21,7) — et ce n’est nullement un hasard si le quatrième évangile et la 1e épître de Jean sont une méditation profonde sur “qui est Jésus” et “qui est Dieu” : “Il était la vraie lumière qui, venant dans le monde, illumine tout homme”, “la grâce et la vérité sont venues par Jésus-Christ” (Jn 1,9 et 17); “Qui n’aime pas n’a pas découvert Dieu, car Dieu est amour” (1 Jn 4,8). Par l’Esprit-Saint, à la Pentecôte, Dieu a converti les apôtres et les disciples, qui ont surmonté leur peur et, au péril de leur vie, ont annoncé la Résurrection au monde entier. Dieu a encore permis à tant d’hommes et de femmes au cours de temps d’ouvrir leur coeur à la Parole qui nous a été transmise par les témoins qui ont été envoyés (Ac 10,42), ces hommes et ces femmes ont eux-même vécu cette transformation, et ont été à leur tour rendus témoins de ce que Jésus est vivant aujourd’hui, et qu’il nous invite tous à changer notre coeur ; c’est eux qu’on appelle “les saints”, et leur nombre n’a pas de limite, car Dieu qui nous appelle nous aussi à être “ressuscités avec le Christ”, à “rechercher les choses d’en-haut, là où le Christ est assis à la droite du Père” (Col 3,1). Telle est la Rédemption des âmes, qui passe par la foi, le libre acceptation par chacun des êtres humains de ce Dieu qui lui a révélé son amour, et la réponse à cet amour en s’engageant à son tour à l’égard de Dieu, en partageant son amour avec “son prochain”, c’est-à-dire tous ceux que Dieu appelle avec lui à être enfants de Dieu (Jn 1,12) et à vivre de la vie divine, c’est-à-dire d’amour infini.

Mais si le Christ est ressuscité, sa Résurrection ne retentira dans le monde que si notre coeur ressuscite avec Lui tous les jours pour en porter la nouvelle au monde, et pour que le temple de Dieu que nous sommes appelés à être (1 Cor 3,16 et 6,19) transforme la partie du monde qui lui est confiée, et cela jusqu’à la fin du monde, quand toute chose sera récapitulée dans le Christ. Alors toute la création pourra vivre en toute liberté et vérité ce message d’amour et y adhérer. Telle sera la Rédemption des corps que nous appelons tous de nos voeux, mais qui ne peut se réaliser que dans la libre acceptation, parce que tel est le Dieu que Jésus-Christ nous a révélé, un Dieu tel que seul Dieu pouvait l’imaginer, un Dieu qui est vraiment tout-puissant, mais dont la puissance est celle de l’amour. C’est ce Dieu-là qui est ressuscité d’entre les morts.

Le Christ est ressuscité !