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Dormition de la Mère de Dieu, 2016

Plusieurs fois par jour – 4 fois à la Divine Liturgie, 3 fois aux vêpres, 7 fois aux matines et pas moins de 10 fois aux matines de la nuit de Pâques – nous disons, en nous exhortant les uns les autres, juste avant la doxologie qui clôture les litanies, la formule suivante:

Faisant mémoire
de Notre Dame, la très sainte, très pure,
toute bénie et glorieuse Mère de Dieu
et toujours vierge Marie,
ainsi que de tous les saints,
offrons-nous nous-mêmes,
les uns les autres,
et toute notre vie,
au Christ notre Dieu!

Ce jour, où nous célébrons la Dormition de la Mère de Dieu, est en vérité le jour de fête de cette prière, de cette exhortation que sans cesse, jour après jour, nous nous adressons les uns aux autres pour que nous agissions selon ce que nous commémorons, suivant la mémoire qui constitue notre être intime. Faisant mémoire de la Mère de Dieu et de tous les saint nous nous offrons nous-mêmes, les uns les autres, et toute notre vie: c’est notre mémoire, personnelle et commune, qui nous permet de faire cela et qui explique notre offrande, qui lui donne une nécessité et qui remplit notre offrande d’un élan vital, de l’élan de notre vie, de l’élan de l’intimité de notre âme.

En effet, faire mémoire et offrir sont les deux aspects d’une même dynamique, d’une même qualité d’être. Lors que une personne chère décède, nous mettons en œuvre tout un ‘plan de commémoraison’. Les premiers étapes consistent dans un certain nombre d’actions, comme le lavage et le vêtement du corps, les préparations pour l’exposition du défunt, sa mise en bière, la fermeture du cercueil et l’enterrement par lequel nous ‘offrons’ le corps à la terre. Toutes ces marques d’attention par lesquelles on entoure le corps du défunt constituent les premier pas de ce qui sera la “mémoire éternelle”: son point de départ est la proximité et le respect religieux du corps de celui qui a quitté cette vie pour entrer dans la vie éternelle.

Faire mémoire, dans ce sens, n’est pas simplement ‘penser à quelqu’un’, mais honorer notre frère ou notre sœur dans son intégrité humaine et dans sa beauté intime d’image de Dieu et, ainsi, l’offrir – en faire offrande – comme une partie intégrante de nous-mêmes à celui qui lui a donné la vie, à Dieu, pour que Lui s’en souvienne. Faire mémoire ne concerne donc pas uniquement les défunts, mais engage profondément les vivants entre eux pour autant qu’ils se reconnaissent les uns les autres comme frères et sœurs en humanité, porteurs authentiques de l’image de Dieu. Faire mémoire d’une personne, vivante ou défunte, est un acte éminemment positif dans lequel la petitesse humaine et tous genres de barrières que nous construisons – où dont nous avons hérités – perdent consistance parce que, en faisant mémoire, nous suppléons le plus possible les manques les uns des autres. Faire mémoire, dans son sens actif et entier, consiste à construire ce que la liturgie appelle la “Communion des Saints”: cette communauté immense dans laquelle les vivants et les défunts sont unifiés comme les membres vivants de l’unique Corps du Christ, de ce Fils de Dieu qui sauve le monde. Faire mémoire, prier les uns pour les autres, offrir “nous-mêmes, les uns les autres et toute notre vie au Christ notre Dieu” est donc une remise en branle du principe de la création, le renouvellement du don de Vie échangé entre les hommes! Offrir les uns les autres c’est se remettre les uns les autres sous le regard de Dieu et voir que “c’est très bon”.

Dans cette Communion des Saints, la Vierge Marie, dont nous commémorons aujourd’hui la Dormition, tient une place éminente comme à la fois notre Sœur, en humanité, et notre Mère, en Vie divine. Plus que les autres fêtes mariales de l’année liturgique, la Dormition, la mémoire de la mort de la Mère de Dieu, constitue l’aspect du cycle de vie d’une personne dont il est normal de faire une mémoire annuelle. De la Mère de Dieu, le tropaire de la fête dit que les barrières qui caractérisent la vie terrestre ne pouvaient pas la restreindre au-delà des apparences: en enfantant elle a conservé la virginité et en s’endormant dans la mort elle n’a pas quitté le monde. Le tropaire et le kondakion insistent sur la prière inlassable de la Mère de Dieu, Mère de la Vie, par laquelle notre âme sera sauvée de la mort et entrera dans la Vie. La Vierge Marie n’a pas quitté la terre car elle porte en son cœur, pour toute l’éternité, le Fils qu’elle a enfanté, et en portant son Fils elle nous porte aussi en son cœur, non seulement comme une Sœur qui porte ses propres frères et sœurs, mais en même temps comme une Mère qui porte les membres du corps de son Fils.

Ainsi, la mémoire, la prière de notre Sœur qui est auprès de son Fils en tant que Mère, est le terreau dans lequel notre condition terrestre est enracinée dans les réalités célestes. Mais en même temps notre propre mémoire, notre propre prière, transforme notre être, comme membres du Corps du Christ, en un pont sur et solide qui relie entre elles les réalités terrestres et célestes, tout comme il relie les réalités terrestres entre eux. Par notre mémoire notre vie devient cruciforme, car sur l’autel de notre cœur les dimensions verticales et horizontales de la création se fondent en une unité créatrice qui est elle-même icône du Verbe, participation dans le principe de la Vie.

Ainsi, en fin de comptes, dans la vie de la Mère de Dieu, de sa nativité à sa dormition, il n’y a pas d’exploit humain extraordinaire au-delà de ce qui est demandé de chacun de nous tous, mais en même temps, rien en-deça non plus! Tout comme pour Marie, notre vocation consiste à devenir terre fertile pour l’œuvre de l’Esprit Saint, à faire naître le Christ dans le Monde, à être porteur du Verbe de Dieu, à avoir un cœur maternel qui garde et chérit la mémoire de l’humanité parce qu’elle est la mémoire de Dieu. Comme pour Marie, il ne nous sera demandé rien d’autre que le Christ, mais le Christ tout entier: c’est-à-dire le Verbe de Dieu incarné en nous, les œuvres de l’Esprit pour le salut du monde et l’amour du Père qui se propage à partir de l’intimité de notre être.

Au moment de nous approcher de la communion, implorons le Seigneur pour que par l’intercession de la Mère de Dieu il jette sur nous son regard de Bonté, pour qu’il réveille en nous le regard de Bonté des uns sur les autres, et pour qu’il se souvienne de nous dans son Royaume: ce Royaume qui descend au milieu de nous ici et maintenant, dans la mesure où nous nous souvenons les uns des autres en nous offrant, nous-mêmes, les uns les autres, et toute notre vie à Lui.