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Fête de la Théophanie

Théophanie de Notre Seigneur : Tt 2, 11-14 ; 3, 4-7 ; Mt 3, 13-17

Frères et sœurs dans le Seigneur,

En Occident, l’Epiphanie, célébrée le 6 janvier ou, dans la plupart des paroisses, le dimanche après le 1° janvier, fait mémoire surtout de la révélation du Christ aux nations païennes, représentées par les Mages, en y associant toutefois les autres révélations du Christ, notamment le baptême – fêté à part au rite latin le dimanche après l’Epiphanie – et les noces de Cana. En Orient, la fête d’aujourd’hui s’appelle la Théophanie, c’est la révélation que Dieu fait de lui-même comme Père, Fils et Esprit, lors du baptême du Christ dans le Jourdain. Le sens en est assez clair : en Jésus, Dieu le Verbe a tellement assumé notre humanité, avec toutes ses blessures et côtés obscures, qu’Il entre en solidarité avec les pécheurs qui sont en voie de conversion en écoutant la prédication de Jean le Précurseur. Notre Seigneur, en descendant dans les eaux du Jourdain, les sanctifie en vue du sacrement du baptême au Nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, selon l’ordre donné par le Ressuscité à la fin de l’évangile de saint Matthieu. Ce que l’Eglise chrétienne a fait à la suite des apôtres.

L’Orient byzantin associe ainsi la bénédiction des eaux, occasion par excellence pour faire mémoire de notre baptême en Christ, au cycle de la Nativité, tandis que l’Occident latin bénit l’eau pour les baptêmes lors de la vigile pascale.

Mais qu’est-ce que le baptême en Christ ? Qu’est-ce que ce sacrement signifie ? Nous avons entendu saint Paul dire à Tite qu’il s’agit du « bain de la régénération et de la rénovation en l’Esprit Saint ». On pourrait citer presque tout le chapitre 6 de l’épître aux Romains où l’apôtre explique comment nous y participons à la mort et à la résurrection du Christ, en mourant au péché et en vivant dans une vie nouvelle, une vie consacrée à Dieu. Puis on pourrait lire de très beaux textes des Pères de l’Eglise sur le baptême. Mais, avouons-le, ce n’est pas à cause de cet enseignement riche que le baptême reste relativement populaire, je parle surtout du baptême des petits enfants. La motivation en est plutôt floue. Nous y reviendrons.

La fête d’aujourd’hui est donc l’occasion pour méditer sur le sens du baptême en Christ selon le NT et toute la grande Tradition chrétienne. L’occidentale, à la suite de saint Augustin, a souligné l’aspect de libération du péché originel. Je saute des siècles de développement doctrinal pour aboutir à l’énoncé suivant : la délivrance de l’emprise du mal qui empoisonne le monde hors du Christ. L’Orient – mais aussi des développements plus récents de la théologie occidentale – souligne le côté lumineux du baptême : c’est une illumination, une sanctification en germe, c’est la vie du Christ et de son Esprit en l’homme. Nous y sommes devenus membres du Christ, temples de l’Esprit Saint. La voix du ciel disant : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui J’ai mis toute mon affection » (Mt 3, 17) vaut pour chaque baptisé en Christ. C’est le sacrement de la grâce, de l’adoption filiale et de la foi. C’est l’initiation qui commence et qui devrait s’épanouir. Ce que l’évangile disait de l’adolescent Jésus – « Il croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2, 52) – vaut en principe pour chaque chrétien. Il y a de la part du Seigneur comme une attente, un désir que nous atteignions la pleine maturité qui n’est rien d’autre que l’union au Christ, l’union transformante.

C’est ici que commence l’interrogation. Si le baptême des petits enfants symbolise fortement le caractère gratuit du salut – c’est bien par la grâce que vous êtes sauvés, moyennant la foi. Ce salut ne vient pas de vous, il est un don de Dieu (cf. Ep 2, 8) – pour le dire avec les paroles de saint Jean : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c’est Lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils (cf. 1 Jn 4, 10) – cette pratique suppose soit un milieu chrétien où la vie en Christ est transmise comme par osmose, soit une initiation continue, faite non seulement de catéchèse mais de vie pratique selon l’évangile, si ce n’est pas en famille alors en d’autres lieux. Trop souvent le baptême était et est devenu un rite de socialisation dans une vague commune chrétienne, plutôt qu’une initiation dans l’assemblée des fidèles. Aussi avons-nous besoin que la parole de la foi nous secoue et nous fait prendre conscience de la richesse du mystère du Christ que nous portons comme un trésor caché au fond de notre cœur.

Frères et sœurs, il n’est jamais trop tard de passer du régime du chrétien anonyme, dont la foi est quelque part endormie, au régime de chrétien confessant. Le visage du Christ nous fait signe de plusieurs façons. Aujourd’hui nous le contemplons dans son abaissement dans les eaux du Jourdain. Il est avec nous lorsque nous traversons les eaux de l’épreuve (cf. Is 43, 2), Il appelle chacun par son nom, nous sommes à Lui (cf. Is 43, 1). Nous pouvons chaque jour, de façon consciente, entrer de nouveau dans le mystère de la nouvelle naissance de l’eau et de l’Esprit, nous pouvons découvrir notre identité profonde d’enfant de Dieu, en Christ, sous l’emprise de l’Esprit. C’est pourquoi le rite de l’eau bénite, avec laquelle on se signe et que l’on boit, est si saisissant : c’est comme une reprise de la grâce baptismale. Parce que nous sommes baptisés, soyons motivés pour chercher de la nourriture solide en vue d’une croissance pour le salut. C’est le bon combat pour garder la foi, comme force unificatrice, qui permet de traverser la vie à la main de Dieu. La foi c’est un chemin à la suite de Jésus, notre grand prêtre. Le baptême en Lui, c’est le début de l’aspiration à un amour sans limites ; c’est cela la bienheureuse espérance de la gloire de Dieu que nous verrons face à face dans le Royaume et pour laquelle Il nous a créés et sauvés. Que cette année consacrée à la miséricorde divine soit l’occasion d’une redécouverte de la richesse du mystère du Christ à qui nous appartenons par le baptême. Amen.