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Homélie pour le 9e dimanche après Pentecôte

Jésus et Pierre marchent sur les eaux  (Mt 14,22-33)

Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,
Frères et sœurs,
Les évangiles nous parlent souvent des miracles et des guérisons de Jésus. Ils nous relatent aussi son enseignement, un enseignement qui n’était pas comme celui des scribes, mais des paroles de sagesse et de vie. C’est ce qui a dû frapper en premier lieu les foules, les gens qui venaient l’écouter. Mais les disciples, les douze Apôtres et les évangélistes, ceux qui l’ont suivi de plus près et qui ont partagé leur vie avec Lui, ont dû être frappé encore par un autre aspect, plus mystérieux, de la personnalité de Jésus: par sa vie de prière. Comme tous les hommes et les femmes du peuple juif, Jésus priait au Temple et dans les synagogues, et il récitait sans doute aussi les prières communes et les psaumes – ces mêmes psaumes que nous prions encore aujourd’hui à l’église. Mais il y avait aussi des moments où Jésus se retirait tout seul, à l’écart, souvent la nuit, dans des lieux déserts et dans les montagnes. C’était des moments, où Jésus échappait à ses disciples les plus proches, et où il devenait introuvable à ceux qui le cherchaient. C’était  pourtant des moments où leur salut était proche. Des moments, en effet, où Jésus se trouvait face à face avec son Père, dans une intimité mystérieuse et ineffable. Des moments où il intercédait pour les siens et pour le monde (cf. Jn 17), des moments aussi de lutte intérieure et d’épreuve, comme lors des tentations dans le désert, ou dans le jardin de Gethsémani.
Quelquefois, comme lors du baptême de Jésus dans le Jourdain (Lc 3,21) ou lors de la Transfiguration (Lc 9,29), ces moments de prières intenses sont suivis d’une “théophanie”, d’une révélation du Père dans le Fils, dans le rayonnement de l’Esprit: “Tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré” (Lc 3,22; cf. 9,35). Jésus, fils de l’homme et fils du peuple élu, se révèle être le Fils bien-aimé du Père, venu dans le monde pour sauver son peuple, pour sauver l’humanité entière.
Dans l’évangile de ce matin, saint Matthieu nous relate un événement semblable. Après la mort de saint Jean Baptiste, Jésus désire se retirer dans la solitude, mais les gens l’apprennent et le suivent dans le désert (Mt 14 13 ss.). Jésus les nourrit de manière miraculeuse: la pauvreté humaine devient ici la source de la générosité divine. C’est ce qui précédait immédiatement l’évangile d’aujourd’hui. Nous avons entendu ensuite, comment Jésus ordonne aux disciples de partir et de traverser le lac pendant que lui renvoie les foules. Il désire, en effet, rencontrer personnellement ceux qu’il a nourris miraculeusement, car il désire se donner lui-même, totalement. Le soir, au lieu de rejoindre le bateau, il monte dans la montagne, pour prier seul, à l’écart de tous, seul avec son Père.
Entre temps, la barque est ballottée par les vagues, car vent est contraire. Vers la fin de la nuit, juste avant l’aurore, quand il fait encore sombre, Jésus apparaît mystérieusement aux disciples, il vient à leur rencontre, au milieu du lac.
L’abîme de la mer est redoutable. Dans la Bible, la mer, c’est le chaos primordial, le royaume des démons et de la mort. Il n’y a que Dieu qui peut le dominer, qui en est le maître absolu et qui y connaît son chemin, comme le dit le psaume 76 (77), 20:

Sur la mer passait ton chemin,
ton sentier sur les eaux innombrables,
et tes traces, nul ne les connut.

Marcher sur les eaux de la mer, c’est vaincre les puissances de la mort.
Les disciples, épuisés, ne savent que penser, ils croient voir un fantôme, ils prennent peur et commencent à crier. Jésus leur dit: “Confiance, c’est moi, n’ayez pas peur”.
Trois mots:
1. Confiance! (ou: Courage!). Dans la bouche de Jésus, c’est toujours l’annonce de notre salut. Jésus le dit encore avant de guérir le paralytique (Mt 9,2), il le dit à la femme hémorroïsse, guérie pour avoir touché les franges de son manteau (Mt 9,22), les disciples le disent à l’aveugle de Jéricho, quand Jésus l’appelle (Mc 10,49), et finalement, avant sa Passion, Jésus le dit à ses disciples: “Je ne suis pas seul, parce que le Père est avec moi. Je vous dis cela pour qu’en moi vous ayez la paix. Dans le monde vous avez de l’affliction, mais, courage, moi j’ai vaincu le monde”. Le mot “courage” précède la victoire.
2. Les mots “c’est moi” – littéralement “je suis” – c’est le Nom même de Dieu, révélé à Moïse dans le buisson ardent. C’est le nom du Seigneur, que nous invoquons en chaque prière.
3. “N’ayez pas peur”, plus exactement: “ne craignez pas!” La crainte (phobos), c’est notre réaction naturelle, humaine, devant toute manifestation de la grandeur de Dieu, c’est notre perplexité devant le mystère divin, devant le Maître de la vie et de la mort. Face à Lui, il n’y que Lui qui peut nous dire: “n’ayez pas peur”!
Et pourtant, Pierre, le prince des apôtres, continue à douter. Il veut mettre ce fantôme à l’épreuve: “Si c’est vraiment toi – dit-il – ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux”. Il lui demande l’impossible. Pierre sait bien qu’un homme ne peut marcher sur les eaux. Mais Jésus l’appelle d’une seule parole: “Viens!”. Un appel irrésistible, mais un appel qui, à son tour, met à l’épreuve la foi de Pierre (comme tout appel de Dieu nous met sans doute à l’épreuve). C’est à lui maintenant de décider s’il peut, oui ou non, répondre à cet appel, s’il peut faire confiance à ce fantôme, si ce fantôme peut le sortir de l’abîme de la mer…
La générosité et l’audace de Pierre ne suffisent pas. Tant que son regard est fixé sur Jésus, il tient, mais dès qu’il voit les vagues, il s’enfonce. Jésus lui reprochera ensuite d’avoir manqué de foi, d’avoir été un homme de “peu de foi” (oligo-pistos). Sa foi est là, mais elle doit encore grandir, mûrir. La seule chose qui peut suppléer à ce “manque de foi” et qui sauvera finalement Pierre, ce sont les paroles qu’il prononce au moment de s’enfoncer: “Seigneur, sauve-moi”, paroles d’abandon total à Lui, paroles de confiance ultime.
Avec les disciples dans la barque, reconnaissons en Jésus “celui qui est vraiment le Fils de Dieu” (v. 33), le Fils du Père. Gardons le regard fixé sur lui dans les épreuves. C’est Lui qui nous a nourri dans le désert, c’est lui aussi qui nous appelle, c’est lui qui nous donnera la force de tenir et qui nous tendra la main. Demandons-lui de faire grandir notre foi et de nous sauver là où nous comptons trop sur nous-mêmes et où nous manquons encore de confiance. Amen.