L’évangile de ce dimanche, appelé « Dimanche des ancêtres (du Christ) », deux semaines
avant Noël, nous est lu pour situer la naissance de Jésus dans l’histoire du salut. Car pourquoi le
Fils de Dieu s’est-Il fait homme, sinon pour inviter toute l’humanité à entrer dans le Royaume de
Dieu ? Et la parabole entendue aujourd’hui nous explique aussi, de manière imagée bien sûr,
pourquoi l’on représente le salut de Dieu sous la forme contrastée de « ciel et d’enfer ». Car, dans le
passage parallèle du premier évangile, Matthieu finit sa version de la parabole en racontant que non
seulement aucun des invités discourtois ne goûtera du festin auquel ils avaient été invités, mais
qu’en outre celui qui était là mais « ne portait pas l’habit de fête » sera jeté, pieds et poings liés,
dans les ténèbres extérieures, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents » (Mt 22,13).
Cette dernière image correspond bien à ce que nous appelons couramment « l’enfer ».
Et cela m’amène à répondre à une question que j’ai maintes fois entendue : comment Dieu,
qui est si bon et si miséricordieux, pourrait-Il condamner quelqu’un à l’enfer pour l’éternité, sans
aucun espoir d’en sortir jamais ? N’y a-t-il aucun espace pour le repentir et le pardon ?
En fait, pareille question est prisonnière des images que nous employons. Nous parlons d’un
ciel et d’un enfer, et d’un Dieu qui fait grâce ou condamne, comme s’il s’agissait d’un souverain
terrestre qui récompense ou punit. Cette image, certes, est bien présente dans l’Écriture sainte, aussi
bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testaments, mais justement il ne s’agit que d’une image,
destinée à véhiculer un message qui la dépasse infiniment. Exactement comme la parabole
d’aujourd’hui.
Car, ne nous y trompons pas, s’il est bien exact que le maître qui organise le festin représente
Dieu, et que le festin en question symbolise la vie éternelle, il ne faut pas perdre de vue que c’est en
toute liberté que les invités (ceux-là, c’est nous, les êtres humains !) acceptent ou refusent
l’invitation, ou présentent des excuses montrant que, en réalité, ils ont d’autres soucis qui leur
paraissent plus importants. Et c’est cela la clé de la parabole : sommes-nous, vous et moi,
suffisamment intéressés à l’invitation de Dieu pour y prêter vraiment attention ?
Tout comme un mariage ou une fête solennelle sont prévus longtemps à l’avance, et que les
invités savent qu’ils doivent « bloquer la date » s’ils veulent y être — ou s’excuser largement à
temps s’ils ont un empêchement majeur —, l’appel de Dieu nous est adressé depuis toujours, et en
tout cas il est bien fermement rappelé aujourd’hui. Dieu nous invite. Mais son invitation nous
intéresse-t-elle ? Ou trouvons-nous qu’il est plus important de surveiller nos terres et de veiller à
accroître notre capital, que d’entendre cet appel ? Car Dieu ne contraindra personne, Il ne nous
obligera pas à accepter d’entrer dans son Royaume. Le Royaume de Dieu n’est pas un lieu, mais
une manière de vivre, une manière de donner sens à sa vie dès ici-bas et pour l’éternité. Et refuser
son invitation, cela signifie « rester dehors, dans les ténèbres extérieures, là où sont les pleurs et les
grincements de dents », non pas parce que Dieu y jetterait qui que ce soit, mais parce qu’on se
mordra les doigts, alors qu’il sera trop tard, de ne pas avoir librement accepté de donner à sa vie le
seul sens qui peut lui assurer la vraie liberté, celui de vivre comme Dieu, c’est-à-dire d’aimer sans
limite (même si, en l’occurrence, nous n’arrivons à « aimer sans limite » qu’avec la grâce de Dieu).
Et cela m’amène à la question soulevée tout à l’heure : pourquoi n’y a-t-il pas place au
repentir, à un éventuel pardon de Dieu pour ceux qui se seraient complètement fourvoyés ? En fait,
cela tient à ce que nous sommes : nous sommes « corps et âme », comme on dit, c’est-à-dire à la
fois matériels et spirituels. Matériels, nous le sommes à l’évidence, notre corps nous le rappelle à
chaque instant, mais que nous soyons aussi spirituels, c’est-à-dire qu’il y ait une partie de nous-
mêmes qui n’est pas saisissable par la matière, cela a depuis toujours semblé évident à l’humanité,
et en toute honnêteté, même si aujourd’hui on essaie de se le cacher sous une couverture pseudo-
scientifique, je doute fort que cela puisse être crédible. Depuis toujours, l’être humain a rapporté
cette partie insaisissable de notre être à Dieu, qui a insufflé à l’homme son Esprit de vie. Appelons
cela comme on le voudra, c’est un fait que personne n’a jamais pu ni montrer la vie — comme on
peut le dire de manière imagée, quand quelqu’un meurt, on ne voit pas une petite fumée bleue
quitter son corps — ni la créer (même si on peut arriver à la « cloner », ce qui n’est vraiment pas la
même chose). Et la question reste : qu’arrive-t-il lorsque notre corps meurt ? L’esprit disparaît-il
aussi ?
Pour ma part, je ne le crois pas. Et je crois même fermement que notre personne ne meurt pas
avec la mort terrestre, mais qu’elle continue à vivre sous forme d’esprit. D’une certaine manière, on
pourrait dire que nous devenons « comme les anges dans le ciel » (cf. Mt 22,30), vu que les anges
sont de purs esprits. La différence entre eux et nous, c’est que nous, aussi longtemps que nous
sommes sur terre, avons la possibilité de changer, en bien ou en mal, de devenir meilleurs et de
nous repentir, tout comme celle de vouloir « être comme des dieux » (Gen 3,5), absolument
indépendants, et donc de refuser notre relation au Créateur. Les anges, eux, étant de purs esprits,
sont totalement cohérents, sans possibilité de changement, et ceux d’entre eux qui refusent la
relation au Créateur sont précisément ceux que l’on appelle « les démons ».
J’en reviens donc à notre propre existence : aussi longtemps que nous sommes sur terre — ou
pour reprendre l’image de notre parabole d’aujourd’hui, aussi longtemps que nous sommes « les
invités », appelés par Dieu à entrer dans son Royaume — nous avons la possibilité d’évoluer,
d’accepter son invitation et de nous mettre en route vers son Royaume, même si c’est avec des
contradictions et des hésitations : c’est ce que nous appelons nos péchés. Mais on peut se repentir
de ses fautes, et Dieu ne demande qu’à nous pardonner, à condition que nous le demandions, car
Dieu ne peut pas nous imposer son pardon, pas plus qu’Il ne peut nous forcer à entrer dans le
Royaume. Mais après notre mort, notre personne — ce que l’on appelle couramment « notre âme »
— sera devenue un pur esprit, et ne pourra plus changer, elle sera totalement unifiée dans le « oui »
ou dans le « non », soit elle aura pleinement accepté l’invitation du Seigneur, et son pardon pour
tous les manquements qui, hélas, émaillent notre vie de pécheurs, soit elle aura choisi d’être
« autonome », sans relation avec son Créateur, et se trouvera « dehors, dans les ténèbres extérieures,
là où il y a les pleurs et les grincements de dents ». Qui aura ainsi refusé l’appel de Dieu verra alors
à l’évidence ce que signifie d’être seul au milieu de rien : l’image d’un homme qui se retrouverait
seul au milieu de l’océan peut éventuellement nous donner à penser ce que à quoi peut ressembler
une existence privée de toute relation.
Voilà ce que signifie la parabole d’aujourd’hui. Qui refuse d’entendre l’appel de Dieu se
retrouvera isolé pour toujours, car à ce moment il n’y aura plus place pour la repentance et le
pardon, non pas que Dieu ne veuille pas l’accorder — que du contraire, Dieu souffre de l’absence
de chacune de ses créatures comme des parents privés de leurs enfants — mais tout simplement que
nous-même, notre personne spirituelle ou, si vous voulez, « notre âme », ne sera plus capable de se
repentir et de revenir vers Dieu.
Et si Jésus a raconté cette parabole, ce n’est pas pour nous effrayer, mais bien pour nous
avertir : Il est venu sur terre pour proclamer « Repentez-vous, car le Royaume de Dieu est proche »
(Mt 4,17). À nous d’entendre son appel et d’y répondre !

