« Nous vénérons ta croix, ô Christ, nous chantons et glorifions ta sainte
résurrection ». Ce verset que nous chantons chaque dimanche, cette Pâques
hebdomadaire qui nous rappelle de semaine en semaine, depuis près de deux
mille ans, que la vie est plus forte que la mort, prend un relief tout particulier en
ce dimanche où vient se superposer à la mémoire de la Résurrection la mémoire
de la Croix glorieuse et vivifiante. Le Mystère pascal s’en trouve renforcé et
célébré dans toute son ampleur et nous pouvons en apprécier « la Largeur, la
Longueur, la Hauteur et la Profondeur » et « connaître l’amour du Christ qui
surpasse toute connaissance » selon ce qu’en écrit saint Paul aux Éphésiens (Ep
3, 18).
Aux Colossiens, saint Paul écrit qu’en faisant la paix par le sang de sa croix, le
Christ s’est réconcilié tous les êtres aussi bien sur la terre que dans le ciel (cfr
Col 1, 20). Réconciliation universelle sur laquelle l’apôtre revient à plusieurs
reprises dans ses épîtres, et que l’on retrouve dans les paroles mêmes du Christ :
« et moi, une fois élevé de terre, j’attirerai tous les hommes à moi » (Jn 12, 32).
Saint Jean, chantre de la Croix glorieuse, parce que seul parmi les évangélistes à
identifier crucifixion et glorification, précise au moment de la mort du Christ :
« Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé » (Jn 19, 37). Cette convergence de
regards vers le Christ en croix est un appel à l’unité non seulement des chrétiens,
mais aussi de l’humanité entière réconciliée avec Dieu. Instrument du salut, la
Croix successivement ou simultanément douloureuse, victorieuse et glorieuse,
est aussi instrument d’unité. Si nos vies de baptisés sont marquées du signe de la
croix, la création tout entière n’en est pas moins elle aussi marquée de façon
mystérieuse et indélébile.
Il y a cent ans, en novembre 1925, le Prieuré de l’Union des Églises a été fondé
à Amay-sur-Meuse, au diocèse de Liège, par dom Lambert Beauduin, afin de
prier pour l’unité des chrétiens et de travailler à sa réalisation dans une
connaissance réciproque et le respect mutuel. C’est l’anniversaire de cette
fondation que nous fêtons aujourd’hui, avec un peu d’avance, en nous efforçant
de pénétrer toujours plus avant dans le mystère de l’unité lui aussi marqué par la
Croix. Douloureuse Croix de l’unité perdue et douloureuse Croix de l’unité à
retrouver au prix de bien des renoncements, mais aussi - espérons-le, -
victorieuse Croix de l’unité retrouvée. « La porte de l’unité ne sera franchie qu’à
genoux » affirmait le cardinal Bea qui fut le premier à présider le Secrétariat
pour l’unité des chrétiens créé au début du Concile Vatican II. La Croix est cette
porte étroite par laquelle il nous faut passer.
Si on ne sait pas de façon précise quand le Prieuré de l’Union des Églises s’est
placé sous le vocable de la Croix glorieuse, il y a tout lieu de penser que le
projet initial d’une implantation du monastère à proximité de la chapelle du
Vieux Bon Dieu à Tancrémont y est pour beaucoup. C’est là, au pied de cette
Croix millénaire à laquelle est suspendu un Christ revêtu de la tunique sans
couture et coiffé du diadème royal, que devait germer (cfr Jn 12, 24) cette
œuvre, pionnière à bien des égards, qui travaillerait à l’union de toutes les
Églises, et non à leur absorption par une seule d’entre elles.
Si l’urgence de la situation et les aléas de l’histoire ont fait que le monastère se
soit installé à Amay-sur-Meuse (1925), puis transféré à Chevetogne (1939),
l’ombre de la Croix n’en a pas moins présidé aux destinées de la communauté
qui a persévéré, à travers les épreuves, au service de l’unité, dans la prière des
deux grandes, - mais pas les deux seules, - traditions liturgiques de l’Église :
romaine et byzantine, latine et gréco-slave célébrées à part égale. Par sa
persévérance, la communauté d’Amay-Chevetogne placée sous le signe de la
Croix a contribué modestement, mais à coup sûr, à l’avancée de l’œcuménisme
dans l’Église catholique. Et nous voulons en rendre grâce.
Cent ans plus tard, malgré ses fragilités et un certain essoufflement du
mouvement œcuménique, la communauté d’Amay-Chevetogne persévère
toujours dans son souci de toutes les Églises et son service de l’unité des
chrétiens, rejointe en cela par d’autres communautés monastiques et des
communautés nouvelles éveillées à l’œcuménisme selon leur propre charisme.
De cela aussi, nous voulons rendre grâce gardant les yeux sur la Croix glorieuse
et vivifiante, toujours source d’espérance, parce que nous croyons que, comme
nous le chantons aussi chaque dimanche, « par la Croix, la joie a pénétré le
monde ».