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11e dimanche après la Pentecôte 2025

La conclusion de l’évangile de ce jour semble bien terrible : on y présente Dieu comme un
roi justicier, condamnant à la prison et à la torture celui qui n’a pas remis sa dette à un confrère
qui lui devait une somme assez modeste — disons comme 10.000€ — alors que lui-même venait
d’être absous d’une dette énorme qu’il ne pouvait pas rembourser, de l’ordre de plusieurs
centaines de millions d’euros. Certes, on comprend bien le raisonnement qui est derrière tout
cela, et auquel nous devrions être attentifs à chaque fois que nous récitons le Notre Père en
disant, peut-être trop machinalement, « Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à
ceux qui nous ont offensé ». Mais Dieu n’est-Il pas d’abord celui qui pardonne, qui abandonne les
99 brebis pour aller chercher la 100 e qui s’est égarée (même si c’est de sa faute à elle), le père de
l’Enfant prodigue qui attend sans cesse le retour du fils parti sans laisser d’adresse ?
Certes, Jésus est bien ce Dieu-là, et ce qu’Il nous révèle de son Père des cieux est
parfaitement cohérent avec la parabole entendue en ce jour —mais encore faut-il que nous
fassions bien attention au sens profond de cette parabole ! Car Jésus, en fait, ne nous parle pas de
Dieu, mais de nous-mêmes, de notre vie sur terre, dans la société des hommes ! Pour s’assurer
d’être bien compris, Jésus a rapporté le châtiment au Père céleste, mais en fait le châtiment est
inhérent à notre propre nature humaine : ce n’est pas Dieu qui nous punira, c’est nous-mêmes, qui
déchirons l’image de Dieu qui est en nous. De cette manière, c’est nous-mêmes qui nous rendons
mutuellement infernale la vie sur cette terre ! Cela rejoint la parole de saint Paul : « Le salaire du
péché, c'est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ notre
Seigneur » (Rom 6,23). Dieu nous a donné un monde dans lequel on pourrait vivre tous heureux
et nous préparer tous ensemble à entrer dans la communion éternelle avec Dieu après notre mort,
mais le péché, auquel hélas nous avons tous notre part, fait de cette terre un enfer, avec les
guerres, les agressions, le commerce de drogue etc. Et tout cela est un fruit de la convoitise, du
désir de vengeance, du refus de reconnaître ses propres responsabilités. En définitive, la cause
finale, c’est que nous avons peur de nous reconnaître comme enfants de Dieu, et d’avoir
conscience que nous ne pouvons nous sauver — c’est-à-dire être vraiment heureux — que tous
ensemble.
Rappelons-nous ce qu’a fait Jésus, notre Sauveur et notre exemple : alors qu’il était cloué à
la croix, Il a dit : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc 23,34). Et un
des brigands a compris, puisqu’il s’est converti immédiatement, qu’il a supplié Jésus de « se
souvenir de lui quand Il serait dans son Royaume ». Par ces paroles, celui qu’on a appelé « le Bon
Larron » a ainsi exprimé avoir pris conscience de tout le mal qu’il avait fait, il prenait conscience
qu’il n’avait qu’à supplier pour un impossible pardon de tous ses crimes, mais aussi qu’il avait
perçu que l’amour de Dieu n’a pas de limites, et que, malgré toutes ses fautes, il ne lui était pas
impossible de recevoir le pardon grâce à la miséricorde infinie de Dieu. Et Jésus, le Fils de Dieu,
lui a pardonné immédiatement (Lc 23,42s).
L’autre brigand, par contre, est resté enfermé dans sa suffisance : ne le blâmons pas trop
vite, car cela nous arrive sans aucun doute à nous aussi ! Car pour être capable de demander

pardon, il faut d’abord avoir compris que l’on a soi-même besoin d’être pardonné. Or, qui a pris
conscience d’avoir besoin d’être pardonné… devrait se rendre compte que, lui aussi, il doit faire
de même, « pardonner à ceux qui l’ont offensé », pour reprendre les mots du Notre Père. Dans les
versets qui précèdent l’évangile de ce jour, Jésus a même répondu à Pierre qu’il faut pardonner
jusqu’à 77 fois 7 fois (Mt 18,22), c’est-à-dire sans limite… comme Il l’a fait Lui-même pour le
Bon Larron, et comme Il le fait aussi à notre égard.
Pour nous, avoir le courage de pardonner — de pardonner vraiment, c’est-à-dire du fond du
cœur — cela signifie d’abord reconnaître la fraternité qui existe entre nous de par la volonté du
Créateur, cette fraternité qui est commune à tous les êtres humains, et aussi faire confiance à
autrui, en espérant que notre pardon fraternel l’aide à se rendre compte du mal qu’il a pu nous
faire, et surtout que ce mal ne détruira pas la fraternité que le Créateur a mise entre nous. Si nous
voulons être vrais avec ce que nous sommes, avec notre situation d’enfants de Dieu créés ainsi
par Lui, nous ne pouvons pas, en toute vérité, refuser de lui pardonner, parce que nous aussi nous
sommes pécheurs, et tous nous avons besoin de pardon. En même temps, agissant ainsi, nous
« tendrons la perche » à celui qui nous a offensé, et lui donnerons l’occasion de se convertir et
ainsi de progresser lui-même dans cette fraternité entre tous les humains, donc de s’approcher lui
aussi un peu plus de Dieu. Nous contribuons ainsi à créer sur terre un espace de paix et d’amour
mutuel qui, à son modeste niveau, fera advenir sur terre le Règne de Dieu, comme nous le
demandons encore dans le Notre Père en disant « que ton Règne vienne ».
Ce n’est pas pour rien que Jésus nous a commandé : « Aimez vos ennemis, faites du bien et
prêtez sans rien attendre en retour. Votre récompense alors sera grande, et vous serez les fils du
Très-Haut, car il est bon, Lui, pour les ingrats et les méchants » (Lc 6,35). Aimer ses ennemis,
faire du bien sans rien attendre en retour : c’est encore bien plus que simplement de savoir
pardonner, c’est prendre l’initiative de faire venir sur terre le Royaume de Dieu, un règne
d’amour et de paix, un « lieu » où tout le monde peut être heureux… malgré toutes les limites
inhérentes à l’être humain, à commencer par les nôtres. Car le Règne de Dieu, ce n’est pas
seulement pour un lointain futur, c’est ici et maintenant qu’il doit commencer… dans la mesure
où chacun d’entre nous le fait advenir là où nous sommes, par notre attitude de paix et d’amour.
Certes, cela ne vient pas tout seul : c’est chaque jour que nous devons nous efforcer d’y
parvenir, avec l’aide de Dieu. Mais nous pouvons avoir confiance que Dieu nous y aidera, dans
la mesure même où nous le Lui demandons, et qu’Il dirigera nos coeurs vers l’amour de Dieu et
la patience du Christ (cf. 2 Thes 3,4s), afin que, dans nos coeurs et sur notre terre, le Règne de
Dieu puisse advenir.