Aujourd’hui, nous célébrons la fête principale de la Vierge Marie, la mère de Jésus.
C’est sans doute le moment de rappeler non seulement qui elle est, mais surtout quel est son
rôle dans l’histoire du salut. L’évangile ne parle pas souvent d’elle : il en est bien sûr question
dans les « évangiles de l’enfance », là où on raconte la naissance de Jésus et ses premières
années de vie, jusqu’à ce qu’Il atteigne la majorité religieuse, qui était placée à 12 ans, au
moment où ses parents le retrouvent au Temple. À partir du moment où Jésus entame sa
mission, ce que l’on a appelé « la vie publique », Marie disparaît presque complètement,
comme d’ailleurs toute relation familiale de Jésus. On la voit aux noces de Cana, au moment
où, dans le quatrième évangile, Jésus commence sa mission, alors que Marie suscite le
premier miracle (Jn 2). Nous la trouvons encore dans un épisode qui peut paraître surprenant,
mais est en fait significatif, quand on avertit Jésus de la présence de sa famille, et qu’Il répond
« ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent » (Lc
8,21). Nous retrouverons aussi Marie au pied de la Croix (Jn 19,25ss). Et les Actes des
Apôtres nous la montrent priant au sein de la première communauté chrétienne, avec les
apôtres et tous les autres (Ac 1,14). Aucun texte biblique ne signale comment Marie a achevé
sa vie terrestre : ce sont les apocryphes, des récits dus aux premiers chrétiens, qui en parlent,
et racontent comment elle a été emportée au ciel, dans une paix totale, allant « rejoindre la
Source de la Vie, elle qui était la mère de la Vie », comme le chantent le tropaire et le
kondakion de la fête d’aujourd’hui.
Sans reprendre un à un tous ces épisodes, il est une réalité qui ressort de tout ce que
l’Écriture nous apprend de Marie, à savoir qu’à tout instant de sa vie terrestre, elle a été en
parfaite communion avec la volonté de Dieu, qu’elle a répondu à la perfection à la parole de
Jésus que nous venons de citer, à savoir qu’elle a toujours écouté la Parole de Dieu et l’a mise
en pratique, et c’est en cela qu’elle a parfaitement adhéré à son rôle de mère et de modèle des
croyants, de ceux qui suivent Jésus et veulent vivre pleinement leur vocation d’enfants de
Dieu — un appel qui est adressé à tous les humains, mais dont chacun est responsable pour
soi-même, et qui dépend de notre volonté.
Dès lors, les récits qui entourent la mort et le transfert au ciel de la Mère de Dieu se
comprennent : en fait, ayant pleinement accompli son existence terrestre dans cette vocation à
la vie divine qui est adressée à tous — mais, en ce qui concerne la Vierge Marie, l’ayant
accompli à la perfection, sans avoir rien à regretter, comme l’exprime le fait qu’on dit d’elle
qu’elle n’a pas commis de péché — Marie ne pouvait qu’entrer directement dans la
communion totale avec Dieu dès l’instant de sa mort terrestre. C’est ce que nous appelons
« entrer au ciel ».
Et c’est bien en cela qu’elle est notre modèle. Car — on ne le répétera jamais assez —
c’est tous et chacun d’entre nous qui sommes appelés à vivre en pleine communion avec
Dieu, et cela dès maintenant, chaque jour de notre existence terrestre, et ensuite à « entrer au
ciel », après notre mort, au moment où notre vie terrestre sera entièrement accomplie. Certes,
nous avons conscience du fait que, contrairement à la Vierge Marie, notre propre existence
terrestre est loin d’être toujours en parfaite communion avec la volonté divine : c’est ce que la
tradition chrétienne exprime par le péché, le fait de détourner notre vie, ou un moment de
notre vie, vers un but égoïste, recherchant une satisfaction immédiate et matérielle au lieu de
viser la seule chose qui peut vraiment donner sens à notre existence, celle de vivre en
communion avec Dieu notre Créateur, qui aime infiniment chacun d’entre nous et veut nous
donner la seule chose qui puisse vraiment nous satisfaire pour l’éternité. Contrairement à
Marie, nous sommes malheureusement des pécheurs. Mais nous ne devons jamais non plus
oublier la parole de Jésus : « il y a plus de joie au ciel pour un seul pécheur qui se repent que
pour quatre-vingt-dix-neuf autres qui n’ont pas besoin de repentir » (Lc 15,7). Ni oublier la
figure du Père de l’enfant prodigue, qui attend sans jamais se décourager le retour de son fils
parti sans laisser d’adresse (Lc 15,20). Autrement dit, c’est à chaque instant de notre vie
terrestre que nous sommes appelés à suivre Jésus, et en cela Marie est pour nous un exemple
et un modèle. Et quand nous avons péché, elle est encore là pour nous soutenir, comme le fait
une mère avec son enfant, même après qu’il soit devenu adulte. C’est bien cela qu’a voulu
Jésus quand, cloué à la Croix, il a confié à sa mère toute l’humanité dans la personne de saint
Jean (Jn 19,26s). Elle est ainsi devenue en quelque sort la mère de tous les croyants, de tous
ceux qui veulent suivre Jésus.
Or, si nous célébrons aujourd’hui la fin de la vie terrestre et l’entrée au ciel de Marie, la
Mère de Dieu, n’oublions pas que c’est pour nous que nous la célébrons, pas pour elle !
Certes, elle mérite bien d’être louée, mais la plus grande louange qu’elle pût recevoir, c’est
celle de son propre fils, Jésus, qui l’a accueillie auprès de Dieu ! Nos pauvres louanges
n’ajoutent rien à celles qui sont les siennes depuis le jour où elle a quitté cette terre. En
revanche, si nous célébrons sa fête, comme d’ailleurs toutes les fêtes liturgiques, c’est pour
nous-mêmes, pour contempler l’exemple qu’elle nous offre et lui demander de nous aider à le
suivre. Elle nous montre le chemin, celui d’une confiance absolue en Dieu, d’un abandon
aussi fort que possible à la volonté divine, en espérant être capables de répondre nous aussi
comme elle l’a fait : « Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc
1,38), et de donner ainsi à notre vie terrestre son sens plénier en accomplissant notre vocation
d’enfants de Dieu, afin que nous aussi puissions être accueillis, comme elle, auprès de Dieu
après notre mort terrestre – une mort terrestre qui n’est jamais qu’un passage de la vie
matérielle d’ici-bas à la vie éternelle, à la pleine communion avec Dieu notre Créateur. En
célébrant ainsi le passage de la Mère de Dieu de la vie terrestre à la vie éternelle, c’est notre
propre passage à l’éternité que nous préparons. Prions-la et demandons-lui de nous soutenir,
dès maintenant et pour l’éternité !