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Transfiguration 2025

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean, et les conduit à l’écart sur une haute
montagne… Ce n’est pas la première fois, loin de là, que Jésus se rend sur la montagne : il a
l’habitude de s’y retirer pour prier toute la nuit (Mt 14,23; Lc 6,12; Lc 21,37), pour se
retrouver seul à seul avec son Père céleste. Non certes qu’il ne soit pas possible de prier
ailleurs : Jésus est toujours uni à son Père, fait sa volonté et sait que le Père l’exauce toujours
(cf. Jn 11,41s). Mais la montagne est un lieu isolé, où l’on était sûr de trouver le silence,
d’être seul avec le Seul — et, en outre, la valeur symbolique de la montagne comme « lieu
élevé », donc « plus proche de Dieu » dans l’imaginaire humain, aide à mieux se la
représenter comme lieu de prière.
Mais cette fois-ci Jésus n’y monte pas seul. Il prend avec lui ses trois disciples les plus
proches, ceux auxquels Il demandera un soutien particulier lors de son agonie, un soutien
qu’ils auront d’ailleurs bien du mal à lui assurer (cf. Mt 26,37ss). Sans doute veut-Il aussi les
initier à la prière silencieuse. Et Jésus entre en prière… Apparemment, ici aussi, les disciples
ont du mal à rester éveillés, comme nous le dit saint Luc (Lc 9,32). Sans doute ont-ils aussi
commencé à prier, comme Jésus, mais ils étaient loin d’avoir sa force spirituelle, et peu à peu
se sont-ils assoupis… comme cela nous arrive peut-être aussi quand nous essayons de prier un
peu plus longuement. Et lorsqu’ils ouvrent les yeux, voici que Jésus leur apparaît dans toute la
splendeur de sa gloire. Mais est-ce vraiment Jésus qui est « transfiguré », ou seulement leurs
yeux qui, après un temps de prière — et malgré la faiblesse humaine qui les a fait sommeiller
— se sont ouverts davantage et on vu Jésus tel qu’Il était réellement ? Certes, Jésus est, à tout
instant, parfaitement Dieu et parfaitement homme, et il est en tout temps porteur de la gloire
divine, et cela pouvait peut-être apparaître davantage au moment où Il était immergé dans la
prière. Mais —me semble-t-il — c’est aussi du côté des disciples qu’il y a un changement : au
lieu simplement de suivre Jésus, de l’écouter, de mener la vie quotidienne, ils sont à ce
moment eux-mêmes plongés dans une atmosphère de prière qui leur ouvre les yeux du coeur
et leur fait percevoir la présence du surnaturel. Et Jésus leur apparaît alors « resplendissant
comme le soleil, et ses habits blancs comme neige ».
Mieux encore, les disciples voient Moïse et Élie s’entretenir avec Lui. Moïse et Élie, ce
sont les deux prophètes qui ont vu Dieu, comme nous le narre l’A.T. (Ex. 33s ; 3 Rs 19) ; ils
l’ont vu « de dos », car « nul être humain ne peut voir la gloire de Dieu et vivre », et ils l’ont
vu « sur la montagne », là où ils étaient seul à seul avec Dieu dans la prière. Leur présence
auprès de Jésus sur le mont Thabor est, pour les apôtres, le rappel de ce que l’être humain,
lorsqu’il se plonge tout entier dans la prière, peut percevoir la présence divine, peut entendre
ses paroles — sinon avec ses oreilles, du moins avec son coeur. Les apôtres avaient l’habitude
de voir et d’entendre Jésus comme un être humain, sans doute un être humain extraordinaire,
qui a des pouvoirs et des paroles impensables pour une créature, mais qui reste un être
humain. Pour percevoir davantage, pour commencer à deviner sa gloire, il fallait entrer en
prière, se vider de ses pensées humaines, de ses désirs terrestres — quelque bons et bien
intentionnés qu’ils puissent être — et laisser le Saint Esprit, le Paraclet, l’Esprit de vérité que
Jésus nous a envoyé d’auprès du Père (Jn 15,26), ouvrir les yeux du coeur et de l’esprit.

Cela nous rappelle aussi ce qui s’est passé avec les pélerins d’Emmaüs : ils ont cheminé
longuement avec Jésus, l’ont écouté et ont été émerveillés de son discours, mais ils ne
l’avaient pas encore reconnu ; c’est au moment de la fraction du pain, quand Jésus prit du
pain, le bénit, le rompit et le leur donna que leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent (Lc
24,30s). La première communauté chrétienne y a certainement vu une allusion à l’eucharistie,
le moment de la prière par excellence de la communauté. C’est au moment où ils sont réunis
dans la prière que les yeux des apôtres s’ouvrent : il n’y est pas question de lumière
extraordinaire et d’habits blancs comme neige, ils reconnaissent tout simplement — si l’on
peut dire ici « simplement » ! — Jésus. Cela nous concerne, nous aussi !
Car nous ne devons jamais oublier que l’expérience extraordinaire qu’ont faite les
apôtres sur le mont Thabor, elle est destinée à tous les êtres humains. Depuis que le Verbe
s’est fait chair, et surtout depuis que Jésus a donné sa vie pour nous, est ressuscité et nous a
envoyé l’Esprit saint, nous tous avons le pouvoir et la vocation d’être « enfants de Dieu » (Jn
1,12), et tous nous avons pouvoir de voir Dieu dans la personne de Jésus, comme nous le
rappelle le quatrième évangile : « Nul n'a jamais vu Dieu; le Fils unique, qui est dans le sein
du Père, c’est lui qui l’a manifesté » (Jn 1,18). Jésus n’a pas seulement manifesté Dieu par ses
miracles et ses paroles extraordinaires, Il a aussi manifesté la gloire de Dieu devant les apôtres
qui étaient avec lui sur le Thabor, et qu’Il avait initiés à la prière solitaire avec Dieu. Il ne
s’agit pas ici d’avoir des visions extraordinaires et des extases — même si elles existent à
coup sûr pour ceux que Dieu en juge dignes — mais tout simplement de réaliser à quel point
Dieu est présent à chacun d’entre nous à chaque instant de notre vie, de voir qu’Il ne nous
abandonne jamais, mais que c’est nous qui ne faisons pas attention à Lui. Plus nous ouvrons
les yeux de notre coeur, plus nous faisons en nous le vide de nos pensées terrestres et lui
laissons la place, et plus sa gloire — c’est-à-dire la manifestation de son Amour indéfectible
— nous apparaîtra. Il s’agit de voir Dieu tel qu’Il est, et pour cela devenir semblables à Lui
(cf. 1 Jn 3,2). Cela prendra sans doute tout le temps de notre existence, petit à petit, et cela
suppose que nous nous retirions seul à seul avec Lui dans la prière, afin de le laisser
transformer notre cœur. N’ayons donc pas peur de monter sur la montagne avec Lui pour Le
regarder prier et qu’Il nous apprenne, à nous aussi, à prier d’un cœur pur et d’un esprit
totalement libéré pour le Seigneur.
Pour les apôtres, cette expérience extraodinaire a servi à les raffermir pour qu’ils
pussent affronter le scandale de la mort de Jésus sur la Croix, et qu’ils eussent moins de mal à
croire en sa Résurrection – comme nous le rappelle le kondakion de la fête. Mais pour nous
aussi, l’expérience de la rencontre seul à seul avec Dieu dans la prière doit rafermir notre foi
et nous aider à affronter les difficultés de la vie avec plus de courage, parce que nous savons
que Dieu est avec nous (cf. Rom 8,31; Ps 117,6 etc.), et n’avoir pas peur de témoigner devant
les hommes que Jésus est vraiment le Fils du Père éternel, qu’Il est venu et nous a sauvés.