Categories

Dimanche des Pères du 7 e concile

En ce dimanche, nous faisons mémoire des Pères du septième concile oecuménique
(787 AD), et cela nous invite à méditer quelque peu sur l’importance de la tradition. Le
deuxième verset de l’épître du jour nous dit : Jésus Christ, hier et aujourd’hui, est le même, il
l’est pour l’éternité. Oui, Jésus Christ est le même, mais chacun de nous, à chaque époque, est
invité à le redécouvrir pour soi-même. Car le message de Jésus est inépuisable, et ce qui
compte, ce ne sont pas les paroles, mais les actes : il est, certes, essentiel de bien comprendre
ce que dit l’évangile, mais il est encore plus important de le mettre en pratique. Le Fils de
Dieu s’est fait homme pour nous sauver, mais connaître Jésus-Christ, ce n’est pas un bloc de
connaissances qu’il faudrait assimiler comme un théorème, c’est d’abord et avant tout Le
suivre et mettre en pratique son enseignement dans le concret de notre vie. C’est « vivre en
enfants de Dieu ». Mais pour cela, en effet, il est important aussi de bien comprendre ce qu’Il
a dit.
Ayons d’abord conscience qu’aucun être humain ne peut prétendre « posséder la
vérité » : Dieu seul est vérité, et Il est aussi la plus plus parfaite humilité, dans l’Amour de
tout être. Nous avons besoin les uns des autres pour nous aider mutuellement à découvrir les
multiples facettes de son enseignement. Du fait que nous sommes tous différents, nous serons
sensibles à tel ou tel aspect, nous communierons spontanément à telle ou telle présentation de
l’Évangile. Et l’histoire de l’Église, vieille désormais de deux mille ans, nous en offre une
large panoplie. Il y a, certes, les « Pères de l’Église » et les Pères des conciles, mais aussi tant
de saints qui ont, par leur exemple, mis en lumière l’Évangile, à commencer par les martyrs,
les premiers moines, Antoine, Benoît et d’autres, mais aussi tant d’autres saints qui, chacun à
son époque, ont vécu leur vocation de chrétiens d’une nouvelle manière : songeons à François
d’Assise et la mise en valeur de la vie pauvre, au Père Damien, qui prit soin des lépreux en un
temps où tous les fuyaient, ou à Thérèse de l’Enfant-Jésus qui, enfermée dans son petit
carmel, a par sa prière ouvert son coeur au monde entier et à été le docteur de l’« enfance
spirituelle ». Faire mémoire d’eux, ce n’est pas seulement honorer leur nom, c’est aussi tirer
profit de la leçon de vie chrétienne que fut leur vie et chercher à notre tour à suivre suivre
Jésus dans le concret de notre vie comme ils l’ont fait. C’est aussi pourquoi l’épître de ce jour
nous invite : Souvenez-vous de ceux qui vous ont dirigés : ils vous ont annoncé la parole de
Dieu. Méditez sur l’aboutissement de la vie qu’ils ont menée, et imitez leur foi. L’exemple de
leur vie doit parler pour eux, et c’est bien pourquoi la plupart d’entre eux ont été mis au
nombre des saints par l’Église : comme notre Maître à tous Jésus, ceux qui enseignent doivent
essayer de prêcher au moins autant par l’exemple que par la parole.
Toutefois, je ne voudrais pas esquiver une question particulièrement douloureuse de nos
jours, à savoir que tout n’a pas été parfait dans l’histoire de l’Église, loin de là, hélas. Oui,
nous faisons mémoire des conciles, mais ils n’ont pas été seulement de grands moments où les
évêques de tous pays se sont réunis pour chercher ensemble à mieux cerner la vérité: ce furent
souvent aussi des moments de rupture, et plusieurs d’entre eux ont donné naissance à des
schismes, des séparations dont nous souffrons encore aujourd’hui. Et disons honnêtement que,
la plupart du temps, il ne s’est pas agi simplement d’un contraste entre blanc et noir :
lorsqu’on relit ces disputes avec le recul des siècles, on voit qu’il y aurait eu parfaitement

moyen de s’entendre au lieu de s’écharper, si chacune des deux parties avait fait un effort de
bonne volonté. Mais voilà, les évêques et le clergé sont aussi des êtres humains et non des
anges… La leçon à en tirer pour nous aujourd’hui, c’est de voir à quel point le vrai dialogue
est important, aussi bien pour la vie de l’Église, d’ailleurs, que dans la vie courante. Savons-
nous nous écouter mutuellement avec bienveillance, en cherchant à comprendre le point de
vue d’autrui sans le condamner d’avance parce qu’il ne pense pas comme nous ? Avons-nous
compris la septième béatitude : Heureux ceux qui font oeuvre de paix, ils seront appelés fils de
Dieu (Mt 5,9) ? « Faire oeuvre de paix » ne signifie pas nécessairement abandonner
lâchement son point de vue pour éviter une dispute — quoique cela soit souvent recommandé
quand il ne s’agit que de détails sans importance : rappelons-nous la recommandation de Jésus
: Si quelqu'un veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui encore ton manteau (Mt
5,40). Mais bien sûr on ne peut pas brader la vérité, ni les questions importantes ; pour elles,
toutefois, il ne faudra jamais oublier que c’est la Parole de Dieu qui est vérité (Jn 17,17), et
que nous devons agir selon la vérité pour venir à la lumière (Jn 3,21). Comme Jésus l’a dit
très explicitement : Si vous demeurez dans ma parole, vous serez vraiment mes disciples, et
vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres (Jn 8,31s). Il faut savoir dire la vérité,
comme Paul l’a fait pour Pierre quand ce dernier avait voulu esquiver le problème de
l’admission dans la communauté de chrétiens venus du paganisme (Gal 2,14), mais il faut le
faire dans la charité, c’est-à-dire dans l’amour et le respect mutuel. Cela suppose que l’on
s’efforce de « demeurer dans la Parole de Dieu », donc que l’on consacre du temps à la prière
et à la méditation de l’Écriture, mais aussi que l’on sache s’écouter les uns les autres en
profondeur, dans la paix et la sérénité, pour découvrir grâce à nos frères des aspects de la
vérité qui nous échappent, sans renoncer à rendre justice à ce que Dieu lui-même nous a fait
voir. Comme on le voit, la « tradition », ce sont les vingt siècles de vie chrétienne qui nous
précèdent, mais ce sont aussi nos frères et soeurs d’aujourd’hui qui, avec nous, s’efforcent de
suivre le Christ.
Une fois de plus, cela ne signifie pas qu’il faille être aveugles. S’il y a eu des divisions
scandaleuses dont nous souffrons aujourd’hui, il y a aussi d’autres méconduites graves. De
nos jours, nous ne connaissons que trop bien celui de la pédophilie, mais il y en eut hélas bien
d’autres au cours des siècles, quand les évêques et les abbés étaient de grands seigneurs dont
certains utilisaient leur pouvoir pour exploiter le peuple chrétien, quand on a cru justifier la
guerre au nom de Jésus-Christ, comme ce fut le cas avec les Croisades, ou quand on
persécutait les saints parce que leurs paroles, comme celles de Jésus lui-même, dérangeaient
les Autorités (comme Thérèse d’Avila, dont c’est la fête, et Jean de la Croix). N’oublions pas
que Jésus lui-même a été accusé de ne pas respecter le sabbat, de manger avec les pécheurs,
et qu’Il a été condamné à mort par les chefs religieux de son peuple pour avoir dit la vérité.
On ne le répétera jamais assez, nous sommes tous pécheurs, et cela concerne
absolument tous les chrétiens, du pape au dernier des baptisés — et je crois que le pape
François est bien le premier à en avoir conscience. Mais cela ne doit pas nous paralyser et
nous amener à « jeter le bébé avec l’eau du bain », comme on le dit en français. Jésus savait
fort bien que ses apôtres étaient des hommes ordinaires, qui pouvaient se disputer pour savoir
lequel d’entre eux serait le premier (Lc 22,24), dont plusieurs se laisseraient décourager et
dont l’un le trahirait (Jn 6, 65-67) et que même son fidèle Pierre le renierait sous l’effet de la

peur (Lc 22,61). Mais cela ne l’a pas empêché de leur faire confiance car, comme Il l’a dit
clairement, Je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs (Mt 9,13). Dieu sait
qu’il faut avoir beaucoup de patience avec nous, et faire comme le propriétaire du champ qui
ne veut pas arracher tout de suite les mauvaises herbes qu’un adversaire a semées, de peur que
l’on n’arrache aussi le bon grain (Mt 13,29s). Jusqu’au bout, Dieu espère toujours notre
conversion, et Il est prêt à accorder son pardon, comme Il l’a fait au Bon Larron (Lc 23,43).
Quant à nous, ne soyons pas comme les pharisiens de l’évangile, qui disaient : Si nous
avions vécu du temps de nos pères, nous ne nous serions pas joints à eux pour répandre le
sang des prophètes (Mt 23,30), alors qu’eux-mêmes s’apprêtaient à mettre Jésus à mort !
Avant de voir la paille dans l’oeil du voisin, prenons conscience de la poutre qui est dans le
nôtre (Mt 7,3). Et tirons la leçon de l’histoire de l’Église et des conciles en nous rappelant une
fois de plus la septième béatitude : Heureux ceux qui font oeuvre de paix, ils seront appelés
fils de Dieu (Mt 5,9).
Oui, Jésus est venu appeler les pécheurs… pour qu’ils se convertissent et soient sauvés.
Rappelons-nous cette parole de saint Paul : Qui es-tu, toi qui juges le serviteur d’autrui ? S’il
demeure ferme, ou s'il tombe, cela regarde son maître; mais il demeurera ferme, car Dieu est
puissant pour l'affermir (Rom 14,4). Car, en effet, Dieu a la force de nous secourir, pour nous
aider à nous corriger. Comme Jésus l’a dit avant sa Passion, dans la prière qui faisait l’objet
de l’évangile de ce dimanche : Déjà je ne suis plus dans le monde; mais eux, ils sont dans le
monde, et moi je viens à toi. Père saint, garde en ton nom ceux que tu m’as donnés (Jn 17,11).
Et toute la question se ramène, en définitive, à ce dernier point : avons-nous, oui ou non, foi
en Jésus ? Croyons-nous vraiment que c’est Lui qui sauve le monde, ou nous imaginons-nous
devoir faire justice à la place de Dieu ? Notre problème ne se résumerait-il pas à celui de saint
Thomas, qui ne voulait pas croire à la Résurrection de Jésus aussi longtemps qu’il ne l’avait
pas touché du doigt, et qui s’est entendu dire : Heureux ceux qui croient sans avoir vu ! (Jn
20,29). Nous voudrions « voir » le Royaume de Dieu déjà établi mais, comme Jésus l’a
répondu à Pilate : Mon Royaume n’est pas de ce monde (Jn 18,36). Le Royaume de Dieu ne
peut advenir que si nous y croyons et si nous nous y engageons chacun personnellement, en
acceptant, comme Jésus, toutes les faiblesses de nos frères, de même que Dieu nous pardonne
les nôtres…