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6e dim. Pentecôte

Tes péchés te sont remis. Ce simples paroles de Jésus, en réponse à la foi du paralytique et de ceux qui le portaient, nous paraissent peut-être banales, car nous y sommes désormais habitués. Pourtant, elles donnent la clé de la raison de la venue de Jésus en ce monde !

         Car pourquoi le Fils de Dieu s’est-Il fait homme ? Depuis des siècles, le peuple d’Israël attendait le Messie, et les apôtres eux-mêmes, après la Résurrection de Jésus, espéraient encore qu’Il rétablisse la royauté en Israël (Ac 1,6). Et ne croyons pas être meilleurs qu’eux, car ne nous arrive-t-il pas souvent d’attendre de Dieu qu’Il établisse le ciel sur la terre ? Combien de fois ne nous arrive-t-il pas de trouver que Dieu est bien injuste de permettre tout le mal qui, hélas, est bien présent dans notre monde, de laisser courir les coupables et d’accabler de malheur de braves gens qui méritent infiniment mieux ? Or, n’est-ce pas là attendre un messie terrestre, de faire comme si notre seule existence était celle que nous sommes occupés à vivre sur terre, et de réduite le Bon Dieu à une sorte de « super-Saint-Nicolas » chargé de récompenser les bons et de châtier les méchants ? Si c’était le cas, on pourrait fort logiquement se demander pourquoi Jésus a parlé de « remettre les péchés », un pouvoir qui, comme l’avaient très bien dit les docteurs de la Loi présents lors de ce miracle, « n’appartient qu’à Dieu seul ».

         Précisément, la parole prononcée par Jésus, et le miracle qui l’a accompagnée, ont mis en lumière la seule et unique raison pour laquelle le Fils de Dieu s’est fait homme. Pour établir une société juste, il n’était pas nécessaire que Dieu descende sur terre : les Dix Commandements et la Loi de Moïse suffisaient — et s’ils n’y sont pas arrivés, c’est parce que le péché est présent sur terre depuis toujours : l’être humain connaît la Loi, mais bien des gens ne la défendent que lorsque ça les intéresse, tout le monde est prêt à utiliser la Loi pour se protéger soi-même ou les siens, mais lorsqu’il s’agit de penser aux autres, c’est moins évident. Et nous en voyons les conséquences dans les guerres, les violences, les injustices et tous les maux que tout le monde déplore…

         Alors, pourquoi Dieu n’intervient-Il pas ? Jésus a donné la réponse dans la parabole de l’ivraie (Mt 13,24-30) : Dieu ne veut pas arracher le mal – comprenons : faire disparaître les êtres humains qui font le mal – car Il respecte l’autonomie de la création, Il veut laisser la laisser vivre sa vie, se prendre en charge elle-même, et ce n’est qu’après la fin des temps qu’Il fera justice. Après la fin des temps ? Quand il sera trop tard ? Mais, justement, le temps de Dieu n’est pas celui des hommes ! Pour Dieu, mille ans sont comme un jour (Ps 90,4 ; et 2 Pi 3,8).

         Qu’est-ce à dire ? Que Dieu veut que nous prenions nous-mêmes en charge la création, afin de la rendre bonne, de faire de cette terre un lieu où on rend gloire à Dieu : c’est là notre part dans son oeuvre, à laquelle Il veut nous associer. Nous n’arriverons peut-être pas à en faire un paradis terrestre, car cela supposerait la collaboration de toute l’humanité dans son ensemble, et hélas l’expérience nous apprend qu’il y en a toujours qui tireront la couverture à eux, qui profiteront de la faiblesse des autres pour s’emparer de la plus grande part du gâteau. Mais là n’est pas le point principal, car la terre n’est pas destinée à demeurer toujours, alors que nous, nous sommes appelés à vivre éternellement. Nous n’avons pas le pouvoir de changer les autres, sinon en les invitant, par notre exemple, à accepter de se changer eux-mêmes, s’ils le veulent bien. Il n’y a rien d’étonnant à cela, puisque le Fils de Dieu lui-même n’a pas pu amener tous les hommes à croire en Lui et à vivre en enfants de Dieu. Mais en nous comportant en enfants de Dieu, en vivant en vrais chrétiens, en nous changeant nous-même, nous réalisons le plan de Dieu sur nous : à tous ceux qui L'ont reçu, à ceux qui croient en Son nom, (le Christ) a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu (cf. Jn 1,12).

         Et nous revenons ainsi à l’évangile de ce jour : le vrai miracle de Jésus, ce n’est pas d’avoir guéri le paralytique, mais d’être venu sur terre pour que, tous, nous sachions que, dans la mesure où nous croyons, dans la mesure où nous suivons Jésus, nos péchés nous sont remis. C’est par notre foi — et rappelons-nous que « foi » signifie « confiance » — en Dieu que nous obtenons le pardon de nos péchés. La guérison du paralytique est seulement venue manifester la réalité du pardon que Dieu octroie par l’intermédiaire du Christ.

            Cela porte aussi une conséquence : il n’y a plus lieu de « culpabiliser », pour employer un terme à la mode et qui montre bien à quel point notre société est loin de comprendre le message du Christ. Hélas, il nous arrive à tous de pécher, et même de commettre des choses graves, qui blessent non seulement Dieu, mais nos frères et soeurs. Et il est essentiel, quand nous avons commis une faute, d’en demander sincèrement pardon au frère ou à la soeur que nous avons blessé, et de réparer dans la mesure où nous le pouvons. Et bien sûr de veiller à ne pas recommencer. Mais lorsque le pardon est demandé et reçu, lorsqu’il nous est impossible de réparer le mal que nous avons fait, ou que nous ne pouvons le réparer qu’en partie, il n’y a plus lieu de s’attarder à revenir sur le passé, et de ruminer cette situation en cultivant l’amertume. Il peut d’ailleurs arriver que les personnes que nous avons blessées ne veuillent pas pardonner : là, je n’hésite pas à dire que c’est leur problème, pas le nôtre. Il ne nous appartient pas de les « juger », car Dieu seul est juge. Mais n’oublions jamais les paroles du Notre Père: « pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». De notre côté, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir, mais ni nous-même ni personne ne peut faire en sorte que ce qui s’est passé n’ait pas eu lieu : c’est la réalité de la vie. Et c’est bien pourquoi il ne faut jamais perdre de vue qu’il n’y a qu’un seul et unique Juge, Dieu. Et que ce Juge a pris sur lui nos fautes : l’Agneau de Dieu a accepté de mourir sur la Croix pour racheter les fautes de toute l’humanité. Lui qui seul a le pouvoir de pardonner, Il accorde son pardon à tous ceux qui se repentent sincèrement et qui font de leur mieux pour suivre ses pas. Dès lors, il n’y a plus à nous poser de questions : si nous avons foi en Lui, si nous demandons son pardon et nous conduisons de manière conforme à ce qu’Il nous a enseigné — en particulier en pardonnant nous-mêmes à ceux qui nous ont offensés — soyons dans la paix et servons-Le de notre mieux. Comme nous l’a rappelé saint Paul dans le passage de l’épître aux Romains lu : Soyez joyeux dans l’espérance, patients dans l’affliction, persévérants dans la prière… Bénissez, ne maudissez pas !  Et bénissons le Seigneur de son immense miséricorde !