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Transfiguration 2023

Frères et soeurs dans le Seigneur,

          Pour l'homme religieux de tous les temps, les montagnes ont toujours été des lieux privilégiés de rencontre avec Dieu. Ce n'est pas que Celui-ci est plus en haut dans l'espace qu'en bas. C'est l'humain qui vit spontanément une réceptivité plus grande pour la dimension mystérieuse de l'existence à certains endroits et à certains moments. Dans la Bible aussi nous trouvons toute une série de montagnes sacrées : le Sinaï, identifié avec l'Horeb, lieu de l'Alliance, on y reviendra parlant de Moïse et d'Elie, il y a le Mont-Carmel, il y a le Mont des Oliviers, il y a la montagne de l'apparation du Ressuscité en Galilée. Aujourd'hui la montagne s'appelle le Tabor, selon la tradition. Nous le gravissons avec le Christ et ses 3 disciples, Pierre, Jacques et Jean, les mêmes qui seront les témoins de son agonie. C'est la montagne de la prière : l'intimité que Jésus vit avec son Père se manifeste dans son corps et jusque dans ses vêtements. C'est sa gloire de Fils unique, Verbe éternel et incarné, qui resplendit ici, comme un signe de sa Résurrection. C'est le Père qui révèle la splendeur de son Fils, comme le dit le début de la lettre aux Hébreux : resplendissement de sa gloire et expression de son être. Ou pour le dire avec saint Paul aux Corinthiens : c'est la connaissance de sa gloire qui rayonne sur le visage du Christ (2 Co 4, 6b). C'est le regard du coeur des 3 disciples qui est rendu capable, pour un moment, de contempler le Christ Jésus dans son état glorieux. Il a fallu l'effusion de l'Esprit Saint – fruit de la Pâques – pour qu'ils prennent conscience de ce qu'ils ont vu alors et qu'ils considèrent la Croix comme faisant partie du mystère.

          Mais considérons aussi les deux grands prophètes qui apparurent. Pour le Dieu vivant, le Père de Notre Seigneur Jésus Christ, tous sont vivants. Le Seigneur parlait avec Moïse – dit Ex 33, 11 – face à face, comme on parle d'homme à homme, comme un homme parle à son ami. Et pourtant il n'a pas pu voir la gloire de la face du Seigneur (cf Ex 33, 18.20). Sa mort est entourée de mystère, car on n'a pas connu son tombeau (Deut 34, 6b). Et que dire d'Elie, qui s'est voilé le visage avec son manteau, dès qu'il entendit le bruit d'une brise légère, et se tint à l'entrée de la grotte, sur le Horeb. De lui l'Ecriture dit qu'il monta au ciel dans le tourbillon sur un char de feu (2 Rois 2, 11). Le fait qu'aujourd'hui ils s'entretiennent avec Jésus – selon saint Luc ils parlaient de son départ qu'il allait accomplir à Jérusalem – ce fait témoigne qu'en Jésus Christ la parole prophétique est confirmée. Désormais le plus petit dans le Royaume de Dieu pourra avoir un contact spontané car filial avec Dieu, par l'humanité de son Fils, qui demeure avec nous : Il est, Il était et Il vient.

          Pierre veut retenir cette expérience extraordinaire et il fait sans doute allusion à la fête des tentes, fête des réjouissances après la récolte. L'homme spirituel – que nous voudrions être – veut prolonger une expérience lumineuse. Mais il ou elle devra accepter de cheminer encore dans la foi, non dans la claire vision. Toutefois il faut faire mémoire des grâces fortes reçues, surtout lors des moments de doute et d'obscurité.

          Au lieu d'une tente, une nuée lumineuse couvre le groupe de son ombre. On est en pleine théophanie – cela veut dire révélation, manifestation de Dieu, comme à la fin de l'Exode, lorsque le sanctuaire est érigé : La nuée couvrit la Tente du Rendez-vous, et la gloire du Seigneur emplit la Demeure. Le même phénomène, si l'on peut s'exprimer ainsi, se répète lors de l'inauguration du Temple de Salomon : Le Seigneur a décidé d'habiter la nuée obscure. Et lorsque Dieu a voulu nous parler par le Fils, à la plénitude du temps, la puissance du Très-Haut a pris la Vierge Marie sous son ombre.

          L'ombre, qui met comme un voile sur le trop lumineux, invite à l'intériorité et c'est la voix qui constitue le sommet de la transfiguration : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui Je trouve ma joie : écoutez-Le ! Au baptême dans le Jourdain la voix divine, s'adressait à Jésus, maintenant elle s'adresse aux disciples et à nous tous. Comment écouter le Fils ? De façon extérieure et de façon intérieure. Extérieurement il y a les saintes Ecritures, lues et méditées en Eglise, cela veut dire en communion d'écoute. La tradition vivante passe par tous les auditeurs de la parole, lorsqu'ils la mettent en pratique après l'avoir méditée et priée. Et l'on passe ainsi à la dimension intérieure : laisser le message du Christ, parole vivante, parole de salut, pénétrer toutes les zones de notre être, et cela c'est un travail de longue haleine. Il faut donc éveiller une capacité d'écoute, qui n'est pas évidente dans un monde plein de messages de tout genre. L'écoute du Fils, c'est aussi l'initiation continue dans la foi, l'approfondissement du dépôt de la foi. Les dernières décennies, et surtout dans nos contrées, on a trop relativisé ce dépôt. Dieu est certes libre dans la façon dont Il distribue ses dons, Il peut donner une expérience mystique authentique à un jeune qui est plus attiré par Tomorrowland que par les JMJ. C'est vrai, Il l'a fait avec un saint François. Mais, il y a aussi une pédagogie normale que l'on retrouve dans la sagesse des grandes écoles de la spiritualité chrétienne. Bref, il faut se décider à gravir la montagne et ce n'est pas toujours une excursion d'agrément. L'obéissance de la foi devient une aventure, la voie spirituelle étant une lente transfiguration de tout notre être, une transformation en l'image du Christ. Et ce que nous vivons est toujours pour le corps entier du Christ, c.à.d pour tous ceux qui sont en Christ, sous l'emprise de la grâce de l'Esprit, parfois sans le savoir.

          Nous ne restons pas sur le Tabor, comme nous ne restons pas à l'église, la liturgie extérieure a un début et une fin, l'intérieure continue et c'est le culte spirituel où l'on s'offre en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu (Rm 12), en faisant fructifier ainsi les moments, longs ou courts, de gloire déjà entrevue. Amen.