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Pentecôte 2021

Pentecôte 2021

« Chacun les entendait parler dans sa propre langue… »

Le récit de la Pentecôte, tel que nous l’avons entendu dans la péricope des Actes des Apôtres, se concentre sur l’émerveillement des foules qui entendent proclamer les merveilles de Dieu dans leur propre langue à chacun. Il n’est pas dit quel est le contenu exacte de ce que les disciples proclament. Le fait qu’ils parlent des merveilles de Dieu n’est pas ce qui surprend les foules. Non, leur émerveillement concerne le fait de les entendre parler dans leur propre langue :

« Comment les entendons-nous dans notre propre langue à chacun ? »

La péricope que nous avons entendue n’inclut pas le discours de Pierre qui suit immédiatement, véritable prédication qui interprète, explique, exhorte et incite. Non, dans cette fête de la Pentecôte nous sommes invités à nous associer à l’émerveillement de la foule qui proclame :

« Comment les entendons-nous parler, dans nos langues, des merveilles de Dieu ? »

Mais qu’en est-il de nous ? Entendons-nous véritablement les merveilles de Dieu dans notre propre langue à chacun ? Ou bien avons-nous été habitué à un jargon spécialisé, une langue toute particulière, développée spécialement, pour ainsi dire, pour « accommoder » les merveilles de Dieu « dans les siècles des siècles » ?

Oh, si vraiment nous pouvions les entendre parler
dans notre propre langue à chacun… !

Et qu’en est-il de la langue qui sort de notre bouche ? Provient-elle de la Pentecôte et provoque-t-elle l’émerveillement de ceux qui la reçoivent « parce que nous parlons dans leur propre langue à chacun » ? Ou bien prenons-nous refuge dans un jargon que nous avons appris, un langage aussi traditionnel et vénérable que privé de toute vie véritable et de chaleur régénérante ? Nous, qui avons été baptisé, qui avons « reçu l’Esprit Saint » lors de notre Baptême, qui sommes « revêtus du Christ », qui sommes des Temples tout remplis de l’Esprit Saint si l’on pense au grand nombre de sacrements que nous recevons, est-ce que jamais la prière que voici jaillit du plus profond de notre cœur :

« De grâce, Seigneur,
donne-nous d’annoncer tes merveilles
dans la langue de tout un chacun que tu mets sur notre chemin
pour que nous les abreuvions de ta Parole de Vie ! »

La même gratuité du don de l’Esprit, effusion inattendue et surprenante qui se communique aussitôt, aussi généreusement qu’impérativement, est reflétée dans l’exclamation de Jésus dans l’Évangile :

« Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive ! ».

Si quelqu’un a soif… Avons-nous soif ? Je pense que nous avons très soif. Mais nous avons tellement soif que nous nous sommes habitués à cet état de soif, comme si c’ét notre condition normale que d’avoir si soif. Mais de quoi avons-nous soif ? L’eau par laquelle Jésus propose de nous désaltérer est une eau bien particulière. Car il ajoute aussitôt :

« Celui qui croit en moi, des fleuves d’eau vive couleront de son sein ».

Est-ce bien de cette eau-là que nous avons soif ? Non pas d’une eau qui rafraîchit notre langue afin que nous survivions un peu plus, mais d’une eau qui apporte une désaltération durable : une eau qui nous change, nous renouvelle, nous donne espoir et Vie, une eau qui rallume en nous quelque chose qui brûlait un jour, et qui communique cela aussi gratuitement qu’impérativement ?

Cette eau-là, dont l’Évangile dit que c’est « l’Esprit que devaient recevoir ceux qui croiraient en lui », ne peut donc nous désaltérer que dans la mesure où elle devient en nous une fleuve d’eau vive. Avoir soif ne signifie donc pas simplement de venir à l’église pour recevoir les sacrements mais plutôt de devenir nous-mêmes Sacrement pour le monde : l’eau que Jésus nous donne nous transforme en eau, pain, vin, huile, réconciliation, bénédiction bref, Vie et Amour pour ceux qui ont soif et qui viennent à Lui. Parler des merveilles de Dieu dans leur propre langue à chacun : voilà ce que signifie d’être revêtu du Christ, voilà ce que signifie d’être Temple du Saint Esprit.

Selon un auteur byzantin du 14e siècle, Nicolas Cabasilas, la seule chose qui nous sera demandée lors de notre comparution devant le trône de Dieu est le Christ, et la Vie en Lui. Notre œuvre de Vie n’est donc pas le nombre de langues que nous parlons, ni le nombre de personnes que nous rassemblons, ni les livres pieux ou savants que nous avons écrits, ni les institutions que nous avons créées ou maintenues en vie. Non, notre œuvre de Vie est – doit être – la vie de ceux et celles que nous avons touchée, les personnes en qui des sources d’eau vive ont jailli parce que nous leur parlions dans leur propre langue à chacun et chacune.

Avons-nous – sommes-nous… – une Parole de Vie pour qui a soif mais qui ne connait pas notre jargon si habituel et traditionnel, "ce peuple qui ne connaît pas la loi", selon ce que disaient les pharisiens dans l'évangile ? L’eau vive jaillit-elle encore dans notre sein pour désaltérer le monde, ou bien n’en avons-nous que juste assez pour ne pas mourir de soif nous-mêmes… ? Malheur à nous s’il ne se trouve en nous que de l’eau stagnée, consistante sans doute de beaucoup de piété et de beaucoup de « grâce sacramentelle » mais incapable de communiquer, de désaltérer et de parler en langues.

Donne-nous, Seigneur, à ceux et celles que Tu mets sur notre chemin de Vie,
de ne leur adresser que ta Parole de Vie,
dans leur propre langue à chacun et à chacune.

Divise, Seigneur, comme à Babel, les langues qui ne portent pas de fruit,
les langages qui construisent des mondes parallèles,
les langages qui sont devenus inadaptées à transmettre ta Parole de Vie.

Renouvelle en nous, Seigneur, ton Esprit,
emplis de Toi nos yeux, nos oreilles, nos narines, notre bouche, tous nos sens,
afin que notre Vie entière devienne Source intarissable de ton Saint Esprit.

Amen