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6e dimanche du temps pascal 2021

L’aveugle-né et l’Envoyé du Père (Actes 16,16-34  – Jean 9,1-38)

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Frères et sœurs,

Depuis les origines de l’Eglise, les chrétiens ont aimé se faire baptiser pendant la nuit de Pâques. Dans le baptême, disaient-ils, ils mourraient avec le Christ pour ressusciter avec Lui, ils passaient des ténèbres à la lumière, de la mort du vieil homme à une vie nouvelle dans le Christ.

Plus tard, les évangiles du dimanche au temps pascal ont été choisis spécialement pour nous faire comprendre davan­tage différents aspects du baptême, et donc de la vie chrétienne. Pour le paralytique au bord de la piscine de Bethzata (Jn 5), pour la Samaritaine au bord du puits de Jacob (Jn 4), et pour l’aveugle-né – aujourd’hui – à la piscine de Siloé (Jn 9), la rencontre avec Jésus signifie chaque fois : guérison, transformation intérieure, décou­ver­te de la foi et vie nouvelle.

Sans doute n’est-ce pas le hasard non plus, que ces guérisons se passaient souvent le jour du sabbat. Jésus se disait « maître du sabbat ». C’est en ce jour, le samedi entre sa mort et sa résurrection, qu’il descendrait aux enfers pour en libérer toute l’humanité.

L’aveugle-né, dans l’évangile de ce matin, c’est chacun d’entre nous. Il n’a pas de nom propre et souvent on l’appelle simplement : l’homme, ho anthropos, l’être humain. Car handicapés depuis la naissance, d’une manière ou d’une autre, nous le sommes tous, même si souvent nous l’ignorons – ou pire encore : que ne voulons pas le savoir. C’est d’ailleurs une des leçons de cet évangile. « c’est parce que vous dites : ‘nous voyons’, votre péché demeure » (Jn 9,41). Les vrais et les pires aveugles, ce sont ceux qui se croient « voyants », ce sont ceux qui pensent savoir et comprendre, ou être en bonne santé. 

Quand Jésus passe devant l’aveugle-né, ses disciples lui demandent pourquoi il est né ainsi, ils cherchent le coupable : « qui a péché pour qu’il soit né aveugle, lui ou ses parents ? » (v. 2). C’est une opinion courante, autre­fois comme aujourd’hui : pourquoi cela lui est arrivé ? ou pourquoi cela m’arrive à moi, et non pas aux autres ? Pour Jésus, la question est mal posée : « Ni lui, ni ses parents, dit-il. Mais c’est pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui » (v. 3). C’est-à-dire : inutile de regarder en arrière et de chercher un coupable, puisque c’est la condition humaine. Nous sommes tous dans la même situation ! Regardons plutôt vers l’avenir : comment en sortir, moi, nous, et tous les autres ? Le discer­ne­ment à faire, la question à poser, c’est : accepte­rai-je, oui ou non, ‘la manifestation de l’œuvre de Dieu’ en moi ? Accepterai-je de mourir avec Jésus pour ressusciter avec lui, d’être re-créé par Lui pour une vie nouvelle ?

Car il y a ici une nouvelle création. Ce que Jésus dit et fait pour guérir l’aveugle-né évoque le récit de la création au livre de la Genèse. Au premier jour de la création, Dieu créa la lumière, qu’il sépara des ténèbres (Gn 1,3-5). Or, Jésus se dit la lumière du monde (Jn. 9,5). C’est à sa lumière, tant qu’il fait jour, qu’il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui l’a envoyé, dit Jésus. Nous, c’est-à-dire : nous, les hommes, avec et en Jésus, avec son Père qui nous a créés. En Jésus, nous serons re-créés. Et sans Lui, nous ne pouvons rien faire (Jn 15,5). Et pour le montrer, « Jésus crache par terre, fait de la boue avec sa salive et l’applique comme une onction sur les yeux de l’aveugle en lui disant : va te laver à la piscine de Siloé, ce qui veut dire : l’Envoyé ». Ainsi Dieu avait modelé Adam, le premier homme, avec de la poussière prise à la terre humide et il avait soufflé sur son visage un souffle de vie (Gen 2,7). Jésus, l’Envoyé du Père, fait ici de même. Et au retour de la piscine de Siloé, l’aveugle voit.

Sa transformation est tellement radicale, que son entourage ne le reconnaît plus au premier abord. Il est comme le Christ ressuscité, dont même les disciples et Marie Madeleine ne savaient pas si c’était bien lui !

Suit alors un faux procès de la part des « Pharisiens » et des « Juifs » – c’est à dire de ceux qui se croient voyants – un procès qui ne cherche pas la vérité et dont le verdict est déjà connu d’avance : l’aveugle-né n’est que « péché depuis sa naissance » (v. 34) et Jésus « cet individu, qui n’observe pas le sabbat » et qui ne vient donc pas Dieu (v. 16), ne peut être le Christ (v. 22). En même temps, face à cette opposition, l’homme guéri progresse dans sa découverte de « l’homme qu’on appelle Jésus », qui lui avait dit : « va à Siloé – l’Envoyé – et lave-toi ». Il comprend que « c’est un prophète » (v. 17). Puis, « si cet homme n’était pas de Dieu, dit-il aux Pharisiens, il ne pourrait rien faire » (v. 33) – or, il m’a ouvert les yeux et il m’a transformé la vie ! Enfin, après avoir été exclu de la synagogue, il reconnaît en Jésus « le Fils de l’homme » (v. 35), il croit en son « Seigneur » et il se prosterne devant lui (v. 38).

Voilà donc, frères et sœurs, la leçon de cet évangile. D’abord, que Jésus est venu pour tous, du moins pour tous ceux veulent et qui reconnaissent avoir besoin de lui depuis la naissance. C’est lui, la lumière de notre regard. Sa lumière nous transforme et transforme le monde autour de nous, par notre regard renouvelé sur lui. Les malheurs et les maladies, dans la mesure où elles relèvent de la condition humaine, ne sont pas une fatalité absurde mais une occasion pour nous de grandir en Dieu et de nous investir les uns pour les autres. Une occasion d’aimer davantage et d’agir en conséquence. Le pire malheur qui puisse nous arri­ver, ce serait de nous enfermer dans notre propre petit monde, d’y enfermer aussi d’autres, mais d’en exclure le Créateur de l’univers et le Christ Jésus, venu pour nous sauver et nous recréer.

Eviter ce malheur, c’est ce que demandent aussi les hymnes liturgiques que nous avons chantés hier soir (Apostiches des Vêpres) :

« Soleil de justice, ô Christ notre Dieu,
de ta main très pure tu as illuminé entièrement
celui qui dès le sein maternel était privé de clarté ;
illumine aussi les yeux de nos cœurs,
fais de nous des fils [et des filles] de lumière et de jour
afin que dans la foi nous puissions te crier :
grande et ineffable est ta miséricorde envers nous,
Seigneur ami des hommes, gloire à toi ! ».

Frères et sœurs,

Demandons au Seigneur, nous aussi, de changer et d’illuminer notre regard et de nous recréer à son image !