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Transfiguration 2020

(Mt 17,1-9 ; 2Pi 1,10-19)

Au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit.

Frères et sœurs,

Dans la vie des trois apôtres – Pierre, Jacques et Jean – la transfiguration de Jésus a dû être un événement unique et bouleversant, un événement qu’ils n’allaient plus jamais oublier. Jusqu’à ce moment, les disciples connais­saient Jésus comme un maître, un « rabbi » et un guérisseur. Ils avaient entendu son enseignement – simple mais paradoxal - qui allait souvent à l’encontre de celui des pharisiens et des docteurs de la loi. Ils avaient assisté à des guérisons extraordinaires. Ils l’avaient vu même marcher sur les eaux. Jésus pouvait se mettre en colère, il pouvait prier, pleurer ou jubiler, mais il était toujours différent des autres. Très souvent ils ne le comprenaient pas, mais ils continuaient à le suivre, comme attirés par lui. Il parlait avec autorité. Beaucoup le prenaient pour un des grands prophètes, revenu sur terre : Elie, Jérémie ou Jean-Baptiste. Mais il était en même temps beaucoup plus qu’eux. A sa question : « pour vous, qui suis-je ? », Pierre avait bien répondu « Toi, tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! », – c’est à dire : le Messie que nous attendions, mais Jésus lui a tout de suite fait comprendre que la réponse ne venait pas de lui, mais de « son Père qui est dans les cieux », et il lui avait demandé de ne pas encore en parler à d’autres…

Et voilà qu’un jour, Jésus les emmène avec lui dans la montagne, à un endroit où il avait l’habitude de se retirer pour aller prier. Comment Jésus priait dans la solitude, seul avec son Père, personne ne le savait. Jésus n’y emmène pas tout le monde, pas la foule, ni même les douze apôtres, mais seulement ses trois disciples les plus proches : Pierre, Jacques et Jean, les mêmes qui seront aussi témoins de son agonie à Gethsémani. Or, c’est pendant la prière, nous dit saint Luc, que sont visage devient « autre » – « comme le soleil », précise saint Matthieu – et que ses vêtements deviennent blancs et éblouissants comme la lumière. Pour la première fois, les disciples voient Jésus autrement. Ils voient à quel point sa prière, son intimité avec le Père, le transforme, le change, le transfigure à leurs yeux. Non pas que Jésus change de nature ! Au contraire, c’est dans la prière, dans l’union intime avec son Père, que sa véritable nature se révèle. Il n’est pas seulement éclairé ou illuminé de l’extérieur par la lumière divine, comme l’était Moïse en descendant du Mont Sinaï ; non, il se manifeste lui-même comme la source d’une lumière trans­formante, il se montre de la même nature que le Père, il participe à la même « gloire », à sa vie, à sa force et à son amour.

En même temps, et dans cet état, il s’entretient avec Moïse et Elie, les deux grands témoins de la gloire divine dans l’Ancien Testament, comme nous l’avons entendu pendant les trois lectures aux Vêpres de hier soir[1].

Moïse avait été enveloppé de la nuée lumineuse sur le mont Sinaï. Son visage rayonnait non pas de sa propre lumière mais ne faisait que refléter la gloire divine. Lui, sur la montagne, n’a pas pu voir la face de Dieu. Il pouvait seulement entendre sa voix. Mais Dieu lui a parlé comme à un ami et lui a révélé son Nom. Et ce Nom était : « Seigneur, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en miséricorde et fidélité ». C’est devant ce Nom qu’il s’est prosterné (Ex 34, 5-7).

Le prophète Elie, lui aussi, avait entendu et ressenti la présence de Dieu, sur la montagne de l’Horeb. Le Seigneur s’y était révélé à lui, non pas dans un vent fort et violent, ni dans le tremblement de terre, ni dans le feu destructeur, mais « dans le murmure d’une brise légère » (I Rois 19,11-12).

Aujourd’hui, en présence de Jésus, Moïse et Elie peuvent enfin « voir Dieu et ne pas mourir ». Ils découvrent enfin, en Jésus, ce visage humain de la miséricorde divine qui est le salut de l’humanité. Sans doute n’avaient-ils pas besoin de longs discours pour se comprendre. N’avaient-ils pas annoncé eux-mêmes dans la Loi et les Prophètes – peut-être sans en comprendre toutes les implications – la venue du Christ dans la chair, sa passion, sa mort et sa résurrection, comme Jésus l’expliquera plus tard aux disciples d’Emmaüs ? (Luc 24, 25-27).

Saint Pierre, qui est témoin de tout cela (comme il le rappellera plus tard dans sa deuxième Lettre : 2Pi 1,10-19), demande donc à Jésus que cette situation puisse demeurer, et il propose donc de leur ériger trois tentes. Il voudrait, en quelque sorte, que cette gloire, cette présence divine, puisse demeurer comme elle demeurait dans la « Tente de la Rencontre » de l’Ancienne Alliance (Ex 33,7-9).

Mais se laisser transfigurer par la gloire divine est l’œuvre de toute une vie et non pas d’un instant ou d’un seul endroit seulement. Pour le faire comprendre, Jésus fait entrer les trois disciples, eux aussi, pour un instant, dans la nuée lumineuse de la présence divine, lieu redoutable (de là leur frayeur !), lieu de foi obscure et d’incompré­hension, mais en même temps de révélation éclairante. Elle nous rappelle de nouveau la nuée obscure de la révélation divine au mont Sinaï, mais aussi la colonne lumineuse qui a guidé et protégé le peuple de Dieu dans le désert, qui a permis l’Exode : la sortie de l’esclavage en Egypte à Pâques, la traversée de la Mer Rouge et l’entrée en Terre promise. Elle nous rappelle même l’Esprit Saint, la « puissance du Très Haut » qui a couvert de son ombre la Vierge Marie (Luc 1,35). Et du milieu de cette nuée, les disciples n’entendent plus que la voix du Père : « voici mon Fils bien-aimé, celui que j’ai choisi, écoutez-le ! ».

Ces paroles révèlent Jésus comme Fils de Dieu, fils d’un Père qui nous demande de l’écouter. Désormais, celui qui voit le Fils et qui l’écoute, voit et écoute le Père. Mais « écouter » ici, est plus qu’écouter : c’est aussi le suivre, mettre en pratique ses commandements, donner sa vie pour les autres. « Ecoutez-le » veut dire :

qui l’a vu, m’a vu,
qui l’a écouté, m’a écouté,
qui le cherchera et le suivra, me trouvera,
qui lui demande quelque chose, me recevra.

C’est dans cette écoute quotidienne, dans la prière, que nous sommes déjà transfigurés, petit à petit, dans sa gloire. Cette écoute nous rendra capable de le voir, dès maintenant, dans la fragilité humaine, dans et travers la souffrance de ceux qui nous entourent. Cette écoute nous rendra capables de le reconnaître un jour, quand il viendra à notre rencontre pour nous accueillir dans la maison de son Père. Amen.

 


[1] Exode 24,12-18 / Exode 33,11-23 ;34,4-8 / I Rois 19,3-16.