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Samedi Saint 2020

Samedi Saint 2020

Nous voilà arrivés à la fin de la première partie de la veillée pascale. Nous avons longuement médité et ruminé le mystère de notre salut, de la création de l'univers à la nouvelle création en Jésus, le Christ, mort et ressuscité, notre frère premier-né d'entre les morts. Et pourtant, liturgiquement, nous restons en quelque sorte suspendus entre la mort, le tombeau scellé, et la vie du Ressuscité, qui nous donne la vie en abondante plénitude (Jn 10,10).

Le chant qui a accompagné la procession des offrandes, la Grande Entrée, traduit cet entre-deux, entre la mort et la vie. "Que fasse silence toute chair mortelle, qu'elle se tienne avec crainte et tremblement..." 

"Que fasse silence toute chair..." La liturgie applique au Seigneur Jésus, mort-enseveli-ressuscité, une prophétie d'un des derniers prophètes de l'Ancien Testament, Zacharie. Voici son avertissement: "Silence devant le Seigneur toute chair, car il s'éveille et sort de sa sainte demeure" (Zach 2,13/17). La sainte demeure n'est-ce pas le tombeau, fermé et scellé d'une lourde pierre? Il est lourd le silence de la mort. Il est lourd, opaque, insaisissable. Il est, s'il est permis de se reférer à un des mystères de l'astronomie, semblable à ces "trous noirs" dans l'univers qui dévorent toutes les énergies cosmiques rencontrées. 

La mort réduit au silence. Elle nous confine, elle nous emmure dans le silence. Elle dévore. La parole, le regard, le baiser ne créent plus de liens, ne communiquent plus. Nous perdons dans le silence de la mort le plus précieux de notre humanité, la relation de communion.

Nous en faisons la terrible expérience en cette pandémie. Tant d'êtres humains, ici et ailleurs, sont plongés dans le silence de la mort, privés d'une parole, d'un sourire, d'un baiser de  leurs enfants et petits-enfants. Et ce drame étouffe la parole, au point que nous n'apercevons plus, puisqu'on nous le cache comme sans importance et "inactuels", tous ces morts noyés dans ce grand cimetière marin de la Mer méditerranée, toutes ces familles chassées de chez eux, que la guerre au Proche-Orient réduit à la misère la plus inhumaine, celle de perdre l'espérance pour eux-mêmes et pour leurs enfants...

La prière eucharistique de s.Basile le Grand priée en ce Samedi Saint répond à notre douleur inquiète. Elle récite: (Christ) "descendu par la croix aux enfers, afin de remplir tout de sa présence...". Oui, Jésus est allé jusqu'au bout de son amour pour les siens (Jn 13,1). Il a percé le mur du silence, le vide de relation qu'est la mort, le mur infranchissable. Et c'est là, dans cet enfer, qu'il nous attend, au-delà de notre mort physique, comme une parole de consolation, comme un regard souriant. Il accueille l'humain que la souffrance de la mort purifie. Sa présence remplit aussi nos enfers... Je rêve qu'il dise à chacun de nous, juste et bon ou mauvais larron: "Je suis ton frère aîné, car je t'ai créé toi aussi à mon image et ressemblance. Je t'accepte et je t'aime, même si jadis tu m'as donné un baiser de Judas. Ce désir d'aimer et d'être aimé que j'ai déposé comme une semence dans ton coeur, laisse que je le purifie, le fasse germer et croître par le pardon de mon sang versé pour toi". 

Le Seigneur Jésus perce ainsi le silence lourd de la mort par sa voix et par son regard, et notre honte et nos larmes nous libèreront comme elles ont libéré jadis l'apôtre failli, Pierre.

Le silence, en cette grande veillée de Pâques, est plus. Il est silence d'attente. Zacharie prophétisait: "Silence devant le Seigneur toute chair,car il s'éveille et sort de sa sainte demeure". Quelque plus grand mystère encore que la mort est advenu: la Vie. le Vivant, le Seigneur Jésus, Dieu et homme, a englouti la mort, notre mort. Ce n'est plus la mort qui dévore la vie, mais la vie qui dévore la mort. Qu'il soit permis de reprendre l'image astronomique: les "trous noirs" qui dévorent par leur superénergie les énergies rencontrées doivent les recracher. N'est-ce pas ce que la poésie liturgique chante quand elle dit que l'Enfer vomit tous les morts engloutis depuis toujours?

Lorsque nous autres chrétiens nous parlons de la résurrection des morts, nous confessons notre foi en Dieu: le silence, l'emmurement, seront brisés et sont brisés par le Seigneur Jésus, le premier-né d'entre les morts. Car il est notre frère aîné qui nous appelle un à un par notre nom, pour nous conduire au Père.

Le silence du Samedi Saint ne nous invite-t-il pas à ce silence intérieur qui nous permet d'écouter sa voix? Je viens, dit Jésus, pour que tu aies la vie, la vie en plénitude, maintenant, demain, à jamais, avec moi, dans la communion de mon amour avec le Père et le Saint Esprit.