Categories

Dimanche du jugement dernier, 2017

(Mt 25,31-46)

Au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit,

Frères et sœurs,

Qui d’entre nous ne s’est jamais posé la question, quel sera le bilan définitif de notre vie et comment se passera, après la vie ici sur terre, notre rencontre ultime avec le Seigneur ? Depuis les origines, l’Eglise a essayé d’y répondre. La liturgie, des théologiens, des poètes, des peintres et des artistes nous ont décrit l’événement dans des couleurs les plus variées. Des murs entiers d’églises – et la nôtre ne fait pas exception – ont été couverts de fresques effroyables, représentant le Jugement Dernier, où les uns vont à leur perte, tandis que les autres sont conduits par les anges au paradis.

Les textes liturgiques que nous avons chantés hier soir nous décrivent, eux aussi, « le redoutable  tribunal du Christ » dans des images effrayantes: fleuve de feu, effroi, larmes, terribles gémissements, hurlements de terreur... Et en même temps, ils implorent le « Dieu de tendresse » de nous faire miséricorde !

L’évangile de ce matin – que seul saint Matthieu nous a transmis – est bien plus sobre, mais non moins riche d’enseignement, si on y regarde de plus près.

D’abord, qui nous jugera à la fin des temps ? Dès le départ, l'évangile nous parle du « Fils de l'homme », expression souvent employée par Jésus, dans des situa­tions très diverses et dont le sens n’est pas toujours facile à saisir ou à définir. Souvent, comme ici, il s'agit de Jésus lui-même en tant que Fils de Dieu devenu homme. C'est le Seigneur lui-même qui partage notre sort pour nous relever en lui.

Dans l’évangile de ce matin, ce « Fils de l’homme » nous est présenté d'abord comme un roi glorieux venu pour juger le monde entier, « toutes les nations », c’est à dire : l'humanité entière; un roi suprême et tout-puissant, un « Seigneur » et un juge, assis sur son trône de gloire.

Mais ce roi est entouré « de tous les anges ». Ces anges constituent, bien sûr, son armée, sa cour céleste, ses messagers. Mais parmi eux se trouvent aussi – et sans aucun doute – nos « anges gardiens », les témoins de notre vie, de chacune de nos actions et des paroles que nous avons pronon­cées. Au premier rang, il y a « les anges qui regardent constamment la Face du Père qui est dans les cieux » (Mt 18,10), c'est-à-dire les anges des enfants et des « petits » de ce monde, méprisés et scandalisés, et les anges des brebis égarées, dont le Père ne veut en perdre aucune (cf. Mt. 18, 1-14)!

Car – comme l'humble roi David de l’Ancien Testament – ce roi et juge est en même temps berger ! Et dans la bouche de Jésus, nous savons qu'un berger, c'est quelqu'un qui fait tout pour sauver la dernière de ses brebis, au péril même de sa propre vie. Déjà, nous pressentons ici que le « trône de gloire » de ce Roi, ce Juge et ce Berger, c'est la Croix victorieuse du Christ.

Ensuite, nous découvrons que ce berger à lui-même un Père qui a préparé son Royaume depuis la fondation du monde pour y accueillir ses brebis (v. 34). Car les brebis, en fin de compte, ce sont les brebis du Père. Le Fils, qui rassemble, qui juge et qui sauve son troupeau, il le fait au nom de son Père. Il le fait pour conduire les brebis – pour nous conduire – vers son Père.

Le Fils de l'homme, donc, qui nous juge, est roi, berger et fils. Mais il est aussi - et surtout - celui qui a faim, qui a soif, qui est étranger, nu, malade et en prison. Car, « en vérité, je vous le déclare, dit-il, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits, qui sont mes frères, c’est à moi, que vous l’avez fait ! » (v. 40). Il est, lui aussi, « l'un de ces petits » dont les anges contemplent constamment la face du Père ». Il est leur frère, il est présent en eux, il vit en eux … mais personne ne le sait !

Personne ne le sait, parce qu'il veut être ignoré. Il ne veut pas être nourri ou vêtu ou accueilli ou visité parce qu'il est Roi ou Seigneur. Non, il veut être secouru et aimé gratuitement, comme lui-même donne sa vie gra­tuite­ment et par amour, pour sauver son troupeau. Il veut que notre gauche ignore ce que fait notre droite (Mt 6,3). Ce ne sont pas ceux qui disent « Seigneur, Seigneur! », et qui font des miracles en son nom, qui le connaissent ou qui sont connus de lui, mais ceux qui écoutent ses paroles et qui les mettent en pratique (Mt 7, 21-23).

Ce qui est frappant, en effet, dans ce « redoutable tribunal », c’est l’ignorance et la surprise aussi bien des justes que des maudits ! « Quand nous est-il arrivé de te voir ? » – affamé, étranger, nu, malade et en prison – répètent les justes à trois reprises ! (v. 37, 38, 39). Notre « bonne réponse au redoutable tribunal du Christ », dont nous parlent les litanies byzantines, ne consiste pas à réciter le Credo ou à nous justifier. En fait, ce n’est pas nous qui donnerons les bonnes réponses, mais le Seigneur. Nous n’y viendrons qu’avec nos questions et nos étonnements !

En fait, le Fils de l'homme dans l'évangile de ce matin ne demande pas des choses extraordinaires. Il ne nous demande même pas de guérir les malades ou de libérer les prisonniers (même si grâce à Lui, nous pourrions le faire!). Il nous demande seulement de les visiter, d'être attentifs à eux, d'aller à leur rencontre. De les « visiter » comme le Fils de l'homme nous a « visités ». C'est dans cette démarche minimale de notre part que le Seigneur agira lui-même. C'est Lui qui guérira et libérera.

Si le Seigneur est présent dans les moindres de nos frères, sans se révéler, c'est que ce n'est pas Lui qui a besoin d'être sauvé par nous, mais nous par Lui. C'est pourquoi nous devons le « visiter » dans nos frères, « ces frères pour qui le Christ est mort », comme le souligne encore saint Paul dans l'épître de ce matin.

Si le Jugement dernier est donc « redoutable », c'est que le Juge nous renvoie à nous-mêmes, et à notre propre jugement sur nos frères. Car c'est ce jugement qui nous juge. Saint Jean le dit à sa manière :

« Si quelqu'un entend mes paroles et ne les garde pas, ce n'est pas moi qui le juge. Car je ne suis pas venu juger le monde, je suis venu sauver le monde. Qui me rejette et ne reçoit pas mes paroles, il a son juge : la parole que j'ai dite le jugera au dernier jour » (Jn 12,47-48).

Notre Juge est donc venu pour nous sauver. Son jugement est redoutable car il révèle sa puissance dans la faiblesse, dans ce qui est faible, tandis que nous la cherchons trop souvent dans la force de ce monde. Il se révèle au moment de sa glorieuse et redoutable Croix, qui est aussi celle des plus petits de ce monde. Nous ne pouvons être sauvés sans y participer, sans l'accueillir dans notre vie, sans partager la croix des moindres de nos frères.

Demandons donc la grâce, frères et sœurs, de rencontrer le Seigneur dans le regard des uns des autres, de nous trouver dignes de participer à la Croix qui se révèle dans la vie de ceux qui souffrent et dans « chacun des plus petits de ce monde ». Qu’il nous donne ensuite la grâce d’avoir part aussi à sa sainte Résurrection. Amen.